Un important événement s’est tenu le jeudi 22 février dans une grande salle bondée du pavillon Gene-H.-Kruger à l’Université Laval. Une demi-douzaine de dignitaires représentant le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada, la Ville de Québec et l’Université ont fait l’annonce publique du début des travaux de construction du futur complexe scientifique de l’Institut nordique du Québec (INQ). Ce bâtiment emblématique unique de 9865 m2 comprendra plusieurs laboratoires analytiques de pointe ainsi qu’un centre logistique destiné à la préparation de missions arctiques, maritimes et terrestres. Le lieu est appelé à devenir une plaque tournante de la recherche nordique et arctique au Canada et à l’international. Nécessitant des investissements de 105 millions de dollars, il réunira 15 institutions d’enseignement supérieur, quelque 280 chercheurs, des représentants des 4 nations autochtones du Nord québécois et d’autres partenaires des secteurs public et privé. La mise en service est prévue en 2026.
Une expertise de classe mondiale
«L’excellence des chercheurs de l’Université Laval sur le Nord ne date pas d’hier, a expliqué, d’entrée de jeu, la rectrice Sophie D’Amours. Elle s’est construite au fil du temps. Cette histoire est très riche. Le professeur Louis-Edmond Hamelin avait été mandaté par le premier ministre René Lévesque qui lui avait demandé de faire connaître le Nord aux Québécois et d’aller à la rencontre des communautés nordiques. C’était un géographe. Il y est allé. Il a créé des amitiés et fait un cadeau à la langue française: le mot extraordinaire de nordicité. Il a été le fondateur du Centre d’études nordiques. Il a déclaré que le territoire est un endroit incroyable où les disciplines se rencontrent. Depuis on a développé une expertise de classe mondiale ici, à l’Université Laval, et plus largement au Québec.»
Durant son allocution, la rectrice a insisté sur le fait que notre monde en transition. «L’incertitude climatique, elle est vraie. Elle est là, elle est réelle. Il s’agit d’un enjeu capital qui mérite un regard scientifique pour de nombreuses raisons. Plusieurs régions du Nord québécois et canadien subissent un réchauffement hivernal de 2 à 5°C. Les environnements terrestres et marins nordiques sont plus rapidement et plus sévèrement touchés par les changements climatiques.»
Sophie D’Amours a terminé son intervention en mentionnant les noms de deux des architectes du projet INQ: le professeur de biologie Louis Fortier et l’ancien recteur de l’Université Laval, Denis Brière.
«On peut faire quelque chose»
Le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, Jean-Yves Duclos, a ensuite pris la parole. Il a rappelé que la crise climatique représente la plus grande menace à la vie et à la qualité de vie sur la planète avec ses impacts sur la biodiversité, la qualité des sols, de l’eau et de l’air. «Mais la bonne nouvelle, et c’est ce qu’on célèbre aujourd’hui, est qu’on peut faire quelque chose, a-t-il ajouté. On est heureux et inspirés par l’annonce publique des travaux du complexe de l’INQ.»
Selon lui, cet investissement significatif va appuyer plusieurs dimensions de notre environnement, notamment l’environnement naturel, l’environnement économique, l’environnement social, les cultures vivantes et le processus de réconciliation et d’affirmation des peuples autochtones.
Un vrai hub nord-américain pour la recherche nordique
Maïté Blanchette Vézina est ministre des Ressources naturelles et des Forêts du Québec, et ministre responsable de la Société du Plan Nord. Selon elle, la nouvelle infrastructure «va permettre de continuer à développer les connaissances scientifiques et techniques qui sont nécessaires au développement durable du territoire québécois». «Le gouvernement du Québec a alloué plus de 42 millions de dollars à ce projet, a-t-elle poursuivi. C’est une preuve tangible, éloquente de notre engagement en faveur du développement nordique durable.»
La ministre a souligné que l’INQ possède plusieurs valeurs qui rejoignent celles du Plan Nord, entre autres la participation et l’intégration du savoir traditionnel des communautés autochtones aux divers projets de recherche. «Depuis 10 ans, a-t-elle rappelé, la Société du Plan Nord participe à la réunion annuelle de l’Arctic Circle en Islande, laquelle rassemble plus de 70 pays. On y trouve une véritable diplomatie scientifique concernant l’adaptation aux changements climatiques, ce défi de notre génération et des générations futures. Et l’INQ se positionne comme un vrai hub nord-américain pour la recherche nordique. Et cela, le Québec peut en être très fier, fier de ce positionnement et de ce leadership qu’on a.»
Une vision commune
Le ministre responsable des Infrastructures du Québec et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, Jonatan Julien, est associé au dossier du complexe scientifique de l’INQ depuis près de six ans. Dans son allocution, il a insisté sur la vision commune qui a animé les hommes et les femmes qui ont mis le projet sur pied.
«Cette vision commune était emballante, a-t-il affirmé. Mais elle n’a pu se réaliser seulement et uniquement que si on réussissait à collaborer ensemble pour y arriver. La Ville de Québec fait un geste financier à une hauteur impressionnante pour une municipalité. Naturellement, le projet a évolué. Il y a eu des embûches, des écueils, des augmentations de coûts. On a été obligés de se rasseoir. On convenait tous qu’il fallait trouver une manière de réussir le projet. Et aujourd’hui on voit que la somme de ces gestes fait en sorte qu’on y est arrivés.»
Selon Jonatan Julien, le fondement même de la vision des porteurs du projet consistait à dire que les Québécois allaient être des champions de l’étude de la nordicité dans une perspective de changements climatiques. «Le bâtiment, a-t-il ajouté, sera fantastique. Il sera très beau. Comme ministre responsable des Infrastructures du Québec, j’en suis très heureux. Mais c’est surtout un lieu où les gens vont travailler ensemble. L’émulation, le partage pour faire en sorte que le Québec devienne un incontournable par rapport à ces enjeux-là. Mes enfants m’en parlent continuellement. On doit y faire face, on doit trouver des solutions.»
Une extraordinaire nouvelle
«Une des premières choses dont Sophie D’Amours m’a parlé avant que je sois élu: elle m’a dit: il faut que je te parle de quelques sujets et il y avait celui-là, a raconté, pour sa part, le maire de Québec, Bruno Marchand. Il y avait les arguments scientifiques, les faits, le pourquoi.»
Après ce rappel, le maire a qualifié d’«extraordinaire nouvelle» l’annonce publique du début des travaux de construction du futur complexe scientifique. «Le réchauffement climatique, a-t-il dit, c’est malheureusement très proche. Il y a tout dans ce projet dont on a besoin, dont la science de nos chercheurs qui va faire en sorte qu’à partir de la capitale nationale, on soit capables d’influencer l’avenir. Et souhaitons-le vivement dans ce monde qui change, parce qu’on en a besoin.»
Un rêve pleinement éveillé
Dernier invité à prendre la parole, le directeur de l’Institut nordique du Québec, Jean-Éric Tremblay, a expliqué que le projet d’un complexe scientifique pour l’INQ était né d’un rêve, «mais d’un rêve que je dirais pleinement éveillé. Et bien ancré dans un besoin réel de se donner les moyens à long terme pour comprendre le Nord et soutenir son développement, et aussi contribuer à l’essor des Premiers Peuples qui l’habitent.»
Selon lui, le Nord se transforme «à une vitesse folle». «J’ai réalisé aujourd’hui que cela fait 25 ans que je navigue dans l’Arctique. Je résumerai ce quart de siècle en trois temps: affronter la glace, se faufiler à travers les glaces et chercher la glace.»
Le directeur a rappelé que la communauté scientifique du Québec jouit d’une réputation enviable dans les forums internationaux. «Elle est reconnue pour la créativité et la qualité de ses chercheurs, mais aussi pour les actions que nous posons ensemble pour construire les partenariats de recherche avec les Premiers Peuples et les différents intervenants et acteurs du Nord.»
Jean-Éric Tremblay a indiqué «qu’on ne serait peut-être pas ici aujourd’hui sans l’immense contribution de deux chercheurs visionnaires de l’Université Laval. Je parle de Louis-Edmond Hamelin et de Louis Fortier. Chacun à sa façon ils ont ouvert des sentiers que nous empruntons aujourd’hui.»
La communauté de l’INQ est très large. Elle rassemble notamment les Fonds de recherche du Québec, Québec-Océan, ArcticNet. L’INQ regroupe aussi des infrastructures de recherche comme le brise-glaces Amundsen, des installations réalisées sur le territoire en partenariat avec la Société du Plan Nord, et de multiples stations du Centre d’études nordiques.
«Tous ces postes avancés vont enfin pouvoir compter sur une base logistique pour se développer, a souligné le directeur. Cette base permettra aussi à l’ensemble de la communauté de recherche de se déployer efficacement sur l’ensemble du territoire nordique et de l’Arctique. Ces mêmes chercheurs disposeront désormais d’équipements à la fine pointe de la technologie pour analyser, innover, solutionner, surtout communiquer et former la relève scientifique.»
Ce que l’Institut nordique du Québec apportera à l’écosystème de la recherche nordique
Le directeur de l’INQ, Jean-Éric Tremblay, fait le point sur le rôle que jouera le nouveau pavillon pour la communauté de la recherche nordique
par Jean Hamann
Il y aura bientôt 10 ans que le projet d’un institut nordique québécois est en développement. À l’occasion de la première pelletée de terre du futur pavillon, ULaval nouvelles a rencontré le directeur de l’INQ, Jean-Éric Tremblay, pour faire le point sur ce projet.
Pouvez-vous nous rappeler comment a germé l’idée d’un institut nordique?
Dans la foulée du lancement de l’ambitieux Plan Nord du gouvernement du Québec, l’Université Laval tenait, en 2012, le colloque «Mobilisés pour un Nord durable» afin de définir les besoins en recherche pour appuyer le développement durable du Nord. Au même moment, le réseau de Centres d’excellence du Canada ArcticNet, dirigé par l’Université Laval, entamait ce qui devait être son deuxième et dernier cycle de financement. Dans ce contexte, il nous fallait trouver une façon de pérenniser les capacités du Québec en recherche nordique, à la fois pour consolider les expertises et moyens acquis depuis plus de 50 ans et pour propulser la recherche sur les enjeux complexes touchant les transformations et le développement du Nord. Le modèle de recherche multidisciplinaire et intersectoriel développé dans le cadre d’ArcticNet nous apparaissait comme un très bon point de départ.
Qu’est-ce que le nouveau pavillon apportera à l’écosystème de la recherche nordique au Québec?
D’une part, il mutualisera certains services, infrastructures et moyens techniques associés à la recherche nordique. On pense, par exemple, à tout ce qui touche la logistique et la préparation des missions. On y trouvera aussi des laboratoires thématiques qui seront mis à la disposition des équipes qui utilisent des appareils de même type pour leurs analyses. D’autre part, l’INQ aura désormais plus de moyens pour favoriser la rencontre et les échanges entre les quelque 280 chercheurs des 15 universités membres de l’institut. Nos programmes vont favoriser la réalisation de projets multidisciplinaires et intersectoriels entre les équipes et avec nos partenaires. Nous encouragerons encore davantage la co-construction de projets de recherche avec les Premiers Peuples, notamment les Inuits du Nunavik, les Cris de Eeyou Istchee Baie-James, les Innus du Québec et les Naskapis de Kawawachikamach qui sont fondateurs et partenaires de l’INQ.
Combien de personnes occuperont ce pavillon?
Les plans prévoient qu’il sera occupé par environ 200 personnes. Il y aura des bureaux pour une vingtaine de chercheurs qui font partie des différents regroupements de recherche affiliés à l’INQ. Il y aura également des espaces pour les représentants des Premiers Peuples et pour les chercheurs et les organisations partenaires. Toutefois, ce sont les étudiants-chercheurs et les professionnels de recherche qui occuperont la plus grande partie du pavillon. C’est en bonne partie par leur intermédiaire que se concrétiseront, au quotidien, les collaborations entre les équipes.
La construction d’un pavillon était-elle nécessaire au développement de la recherche nordique au Québec?
L’INQ a déjà commencé virtuellement son travail de catalyseur de la recherche nordique. La construction de ce pavillon constitue une nouvelle étape en ce sens. Ce lieu physique favorisera le rassemblement des expertises indispensables à une approche globale de l’étude du Nord et il facilitera la mise en commun de ressources qui permettront aux équipes de se concentrer davantage sur leurs travaux de recherche plutôt que sur la lourde logistique associée aux missions dans le Nord. De plus, le pavillon de l’INQ a une valeur symbolique. La qualité de la recherche nordique menée au Canada, en particulier au Québec, est reconnue partout dans le monde. Par contre, il n’y avait pas encore au Québec d’institut permanent ou de complexe scientifique voué au Nord. C’était un non-sens. Avec ce pavillon, nous corrigeons cette lacune et nous envoyons le message que nous faisons partie des grandes nations en recherche nordique.