Comprendre la composition des aliments transformés, Sylvie Turgeon y consacre sa carrière. Elle est tombée dans la marmite quand elle était petite, car sa mère était épicière et boulangère – d'ailleurs, le Pain maison Mme Turgeon existe toujours. «J'ai grandi en voyant comment transformer de la farine, de la levure pour faire du pain et les problèmes qu'il peut y avoir quand ça ne lève pas», dit la professeure au Département des sciences des aliments de l'Université Laval. Aujourd'hui, elle accompagne les entreprises pour améliorer leurs produits alimentaires tout en formant la relève.
Ces dernières années, dit-elle, les consommateurs ont pris conscience de leur pouvoir d'achat à l'épicerie. Ils veulent moins de gras, moins de sel, moins de sucre, moins d'ingrédients dans leurs aliments, mais sans compromis sur le goût et sans payer trop cher. «Les entreprises ne demandent pas mieux que d'offrir aux gens ce qu'ils veulent, mais parfois, il y a des défis importants», soulève la professeure Turgeon.
Réduire certains ingrédients dans les recettes, appelées formulations dans le milieu, peut changer la texture, la stabilité ou le plaisir en bouche, expose-t-elle. Alors, comment obtenir un résultat aussi satisfaisant? C'est ici qu'entrent en jeu les spécialistes en sciences des aliments, qui maîtrisent aussi bien la chimie que la microbiologie.
«On essaie d'aider les entreprises à mieux comprendre la structure et les propriétés de leurs produits, le rôle de chacun des constituants, leur fonction, comment ils s'organisent ensemble, qu'est-ce qui fait qu'un aliment est bon et se conserve bien», indique la professeure.
Simplifier le yogourt
Des travaux de recherche qu'elle a menés ont retenu l'attention d'entreprises internationales. Elle et un collègue de l'Université Laval, le professeur Steve Labrie, ont été mandatés pour monter conjointement avec Yoplait France et General Mills un projet pour simplifier le yogourt.
Il faut d'abord savoir qu'en Amérique du Nord, pour donner la consistance voulue au yogourt et contribuer à la rétention d'eau dans le produit, il est permis d'utiliser des additifs, comme de l'amidon constitué de polysaccharides, des pectines, des protéines comme de la gélatine, explique la professeure Turgeon. Mais l'équipe de recherche montre qu'il serait possible de ne pas en ajouter. «Récemment, nous nous sommes penchés sur l'utilisation de souches bactériennes dans le yogourt qui produisent naturellement des agents stabilisants, appelés exopolysaccharides, et qui donnent le même effet.» En résulterait un yogourt sans additif, mais tout aussi onctueux.
Ce genre de partenariat «permet de travailler sur des questions de recherche très pertinentes et qui vont avoir un impact rapidement dans l'industrie», estime la professeure. Elle parle aussi d'un environnement de recherche enrichi pour les étudiants de l'Université Laval et de la possibilité de réaliser des stages à l'international.
Dès le premier cycle, Sylvie Turgeon sensibilise les étudiantes et les étudiants à ces enjeux dans un cours sur la formulation des aliments, la réglementation alimentaire et l'usage des additifs. «Les additifs sont décriés, mais beaucoup sont essentiels et sans risque pour la santé, nuance-t-elle. J'enseigne à comprendre à quoi ils servent, à savoir quand les utiliser ou ne pas les utiliser, à avoir une approche critique qui permet parfois d'en retirer et de considérer la simplification.»
Chez les jeunes d'aujourd'hui, elle remarque beaucoup d'intérêt pour les substituts aux produits d'animaux, pour les formulations très simples et pour l'utilisation de produits entiers. Elle observe que pour améliorer les propriétés nutritionnelles des aliments, ils proposent des formulations véganes ou utilisent des graines de chia pour donner de la texture. «On les voit plus curieux des options naturelles. Ça va avec l'air du temps.»
Un amour pour la recherche et l'enseignement
Si Sylvie Turgeon mène une belle carrière en recherche, le volet formation est ce qu'elle apprécie le plus. «J'ai été directrice de l'INAF [l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels] pendant six ans et je n'ai jamais arrêté de donner des cours. J'aime enseigner. C'est important pour moi que les étudiantes et les étudiants côtoient des professeurs qui ont de l'expérience avec l'industrie. C'est ce que j'ai apprécié pendant mon baccalauréat et c'est ce que j'essaie de reproduire: leur donner des exemples les plus proches de la réalité.»
Après avoir fait toute sa formation à l'Université Laval, puis suivi un stage en France, elle a travaillé près de cinq ans au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) à Saint-Hyacinthe, dans un centre de recherche fédéral. Son rêve de devenir professeure s'est réalisé en 1996, dans son alma mater.
De 2002 à 2011, elle a été la première femme à diriger le Centre de recherche en sciences et technologie du lait STELA de l'Université Laval, qui se positionne parmi les leaders mondiaux dans le domaine, souligne celle qui est toujours membre chercheuse.
En 2019, elle a obtenu un doctorat honoris causa de l'Institut Agro Rennes-Angers, campus de Rennes, en France, pour son implication dans la recherche laitière. Elle y avait fait son stage et a entretenu des collaborations avec l'Institut tout au long de sa carrière. En juin dernier, au tour de l'American Dairy Science Association de lui décerner un prix pour les retombées de ses travaux dans le secteur laitier.
Son succès, elle l'attribue «au travail d'équipe avec les étudiants et avec les collègues». «J'ai de la reconnaissance pour tous les partenaires industriels qui nous ont contactés, avec qui on a pu travailler. S'enrichir mutuellement, connecter avec le milieu permet de rester à la page», croit Sylvie Turgeon, aussi codirectrice du GastronomiQc Lab, une unité mixte de recherche qui allie l'Université Laval à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec.
Dernière question d'ULaval nouvelles: comment une spécialiste des sciences des aliments fait-elle son épicerie? «Je suis toujours tentée d'essayer les nouveaux produits pour voir si c'est bien réussi. Je suis constamment en banc d'essai!», dit-elle dans un sourire. C'est ce qui s'appelle mordre dans sa profession à pleines dents!