
Au cours des 20 dernières années, le taux de fertilité est passé d'environ 50% à 35% chez la vache holstein.
— Getty Images/Clara Bastian
Partout dans le monde, les vaches laitières ont de plus en plus de difficulté à «tomber enceintes». Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette baisse de fertilité, mais une équipe de l'Université Laval vient d'identifier un facteur qui était passé sous le radar de la plupart des chercheurs jusqu'à maintenant. La fertilité d'une vache dépendrait indirectement de facteurs liés à la santé, à l'alimentation et aux conditions d'élevage de son «père», suggère l'étude publiée par ces chercheurs dans la revue scientifique Epigenetics.
«La fertilité est la capacité de produire des ovocytes fécondables. Chez la vache, elle est estimée à partir du nombre de conceptions par insémination. Au cours des 20 dernières années, le taux de fertilité est passé d'environ 50% à 35% chez la vache holstein», rappelle le responsable de l'étude, Marc-André Sirard, professeur au Département de sciences animales et chercheur au Centre de recherche en reproduction, développement et santé intergénérationnelle.
Ce phénomène a été étudié sous plusieurs angles, mais peu d'attention avait été accordée à l'épigénétique des géniteurs mâles. «Des facteurs comme l'alimentation, les maladies et les conditions d'élevage font en sorte que certaines régions du génome peuvent être caviardées (par des groupements méthyle), ce qui bloque la lecture de l'information génétique et sa traduction en protéines. Ces marques épigénétiques peuvent être transmises à la descendance», explique Marc-André Sirard.
Pour y voir plus clair, l'équipe du professeur Sirard a étudié 12 géniteurs mâles choisis parmi une population de 100 taureaux. Six de ces géniteurs avaient eu des descendantes qui se distinguaient par leur fertilité très élevée; les six autres avaient eu des descendantes particulièrement peu fertiles. Les chercheurs ont comparé les marques épigénétiques présentes sur l'ADN contenu dans les spermatozoïdes des taureaux de chaque groupe. Ces spermatozoïdes provenaient d'échantillons de semence collectés plusieurs années plus tôt, pendant la même période que ceux utilisés pour concevoir les descendantes incluses dans l'étude.
«Nos analyses ont révélé qu'il existe un profil épigénétique distinct entre les taureaux qui ont des descendantes très fertiles et ceux qui ont des descendantes peu fertiles, résume le professeur Sirard. Dix régions du génome affichaient une épigénétique particulièrement distincte et elles se trouvaient principalement sur le chromosome sexuel X. La conséquence est que les marques épigénétiques qui se trouvent sur ce chromosome d'un géniteur sont toutes transmises à ses descendantes.»
La baisse de la fertilité des vaches laitières a des répercussions très concrètes pour les producteurs de lait, poursuit le chercheur. «Pour qu'une vache donne du lait, il faut qu'il y ait eu gestation, rappelle-t-il. Une baisse de fertilité implique qu'il faut plus d'inséminations pour obtenir une gestation, qu'il s'écoule plus de temps entre deux gestations, que les vaches ont moins de veaux au cours de leur vie et qu'il faut remplacer les vaches quand elles atteignent l'âge de 4 ou 5 ans alors que la vache a une longévité de 25 ans. Pour contrer cette baisse de fertilité, les producteurs recourent davantage à des traitements hormonaux visant à déclencher les chaleurs. Cette pratique peut avoir des répercussions négatives sur la santé des vaches et elle suscite la méfiance chez les consommateurs.»
— Marc-André Sirard
Cette étude livre deux messages pratiques pour atténuer l'infertilité chez les vaches laitières. «Au moment de choisir la semence d'un géniteur, il faudrait prendre en considération l'épigénétique des régions du génome que nous avons associées à la fertilité de leurs “filles”. De plus, l'épigénétique est un phénomène réversible. En modifiant l'alimentation ou les conditions d'élevage des taureaux, on pourrait faire disparaître les marques épigénétiques qui empêchent l'expression des certains gènes liés à la fertilité chez leurs descendantes», conclut le professeur Sirard.
Les auteurs de l'étude parue dans Epigenetics sont Ying Zhang, Clément Plessis, Julien Prunier, Hélène Martin et Marc-André Sirard, de l'Université Laval, et Rémi Labrecque, de SEMEX Boviteq.