Dans un article publié par la revue Science of the Total Environment, une équipe de l'Université Laval et de l'Université Clermont Auvergne apporte la preuve que les nuages constituent une voie de dissémination importante de gènes de résistance aux antibiotiques. «C'est la première étude qui démontre que les nuages abritent des gènes de résistance aux antibiotiques d'origine bactérienne en concentrations comparables aux autres environnements naturels», signale Florent Rossi, premier auteur de l'étude et postdoctorant dans l'équipe de Caroline Duchaine, au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique de l'Université Laval et au Centre de recherche de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec.
Pour faire cette démonstration, les chercheurs ont échantillonné des nuages au sommet de puy de Dôme, à 1465 mètres d'altitude. Ce volcan endormi, au sommet duquel se trouve une station de recherche atmosphérique, est situé à une quinzaine de kilomètres de Clermont-Ferrand, dans le Massif central de la France. Les chercheurs y ont effectué 12 séances d'échantillonnage de nuages étalées sur deux années.
L'échantillonnage a été fait à l'aide de deux appareils. Le premier est un impacteur à nuages qui permet de récolter des microgouttelettes d'eau en suspension. L'autre est un genre d'aspirateur à haut débit grâce auquel les chercheurs parviennent à fixer les acides nucléiques présents dans les nuages.
L'analyse de ces échantillons a révélé qu'ils contenaient, en moyenne, 8000 bactéries par millilitre d'eau de nuage. «Les bactéries qui s'y trouvaient vivent habituellement à la surface de la végétation ou dans le sol, précise-t-il. Elles sont mises en aérosols par le vent ou par des activités humaines, et une partie d'entre elles monte dans l'atmosphère et participe à la formation des nuages. Les concentrations que nous avons mesurées sont très variables. Elles vont de 330 à 30 000 bactéries par millilitre d'eau de nuage. Entre 5% et 50% de ces bactéries sont vivantes et potentiellement actives.»
À l'aide de modèles météorologiques, les chercheurs ont été en mesure de déterminer la trajectoire et l'altitude des masses d'air associées aux nuages au cours des 72 heures précédant l'échantillonnage. Grâce à ces informations, ils ont distingué deux types de nuages: les nuages océaniques, qui arrivaient directement de l'océan Atlantique, et les nuages continentaux, qui avaient davantage circulé au-dessus des terres et qui avaient été exposés aux environnementaux locaux.
«Nos échantillons contenaient, en moyenne, 20 800 copies de gènes de résistance aux antibiotiques par millilitre d'eau de nuage. Nous y avons détecté 29 sous-types de gènes de résistance aux antibiotiques. Les nuages océaniques et les nuages continentaux ont chacun une signature de gènes de résistance aux antibiotiques qui leur est propre. Ainsi, les nuages continentaux contiennent davantage de gènes de résistance à des antibiotiques utilisés en production animale», explique Florent Rossi.
Le transport aérien de gènes de résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel qui a toujours existé, précise-t-il. «Les microorganismes produisent des molécules, la pénicilline par exemple, qui servent à inhiber la croissance des autres microbes. Une partie de ces microbes possède des mécanismes pour les contrer. Par sélection naturelle, ces souches microbiennes deviennent plus abondantes. Il est donc normal de retrouver dans l'environnement des gènes de résistance aux antibiotiques.»
Par contre, l'utilisation très répandue d'antibiotiques en agriculture et en médecine a contribué à la prolifération de ces souches résistantes et à leur dissémination dans l'environnement. «Notre étude montre que les nuages sont une voie de dispersion importante des gènes de résistance aux antibiotiques, sur de courtes et sur de longues distances. Idéalement, nous aimerions pouvoir localiser les sources d'émission attribuables aux activités humaines afin de limiter la dispersion de ces gènes.»