«Attraper un ballon, c’est un jeu d’enfant. Peut-être devrions-nous revoir nos expressions, car Théo, 8 ans, n’arrive pas à rattraper une balle. Son bras gauche est replié, ses doigts sont refermés et il a du mal à bouger sa main. En fait, comme 2 enfants sur 1000, Théo a un diagnostic de paralysie cérébrale. C’est la plus grande cause d’incapacité motrice chez les enfants.»
C’est par ces mots que la doctorante en sciences cliniques et biomédicales Ophélie Martinie a commencé sa présentation lors de la finale locale 2023 du concours Ma thèse en 180 secondes. L’événement était organisé par la Faculté des études supérieures et postdoctorales. Il s’est déroulé le mercredi 22 mars au Cercle du pavillon Alphonse-Desjardins devant plus de 125 personnes. Plus de 400 autres ont suivi la retransmission en direct. Il s’agissait du grand retour post-pandémique de l’activité devant public. Celle-ci a réuni 12 finalistes sélectionnés au sein de leur facultés respectives. En étant clairs, concis et convaincants, ils devaient présenter leur projet de recherche en termes simples et dans un maximum de trois minutes à l’aide d’une seule diapositive statique.
Au terme de l’exercice, le jury a déclaré Ophélie Martinie grande gagnante du volet francophone pour son exposé «Les autoroutes du cerveau chez les enfants avec une paralysie cérébrale». L’étudiante représentera l’Université Laval lors de la finale nationale du concours durant le 90e Congrès de l’ACFAS, qui se tiendra en mai à l’Université de Montréal.
Une cartographe du cerveau
La paralysie cérébrale est provoquée par des virus, des malformations ou des accidents vasculaires qui touchent le cerveau du fœtus dans le ventre de la mère. Dans son exposé, la doctorante a comparé le cerveau à un pays où les routes et les autoroutes véhiculent les informations entre les villes. Or, chez les enfants qui grandissent avec la paralysie cérébrale, certaines routes sont si endommagées qu’elles sont inutilisables. Certaines villes se retrouvent donc isolées.
«Comme on connaît peu de choses sur le cerveau routier des enfants atteints de paralysie cérébrale, dit-elle, pendant mon doctorat je m’intéresse à répertorier les routes de matière blanche et à décrire leur état. Je suis en quelque sorte une cartographe du cerveau. On sait beaucoup de choses sur les deux ou trois routes principales, mais on a tendance à oublier les routes moins importantes autour. C’est légitime. On peut s’attendre que l’impact des routes principales explique les symptômes. Mais le cerveau est une machine complexe. Donc, parfois, de petites routes qui semblent anodines peuvent les expliquer.»
À partir de photos obtenues par résonance magnétique, la doctorante utilise un algorithme complexe dans le traitement des images pour obtenir une sorte de «Google Maps colorée».
«Dans le cas de Théo, poursuit-elle, mes résultats démontrent que le côté droit de son cerveau présente moins de routes que le côté gauche. Certaines routes sont même absentes et d’autres sont de moins bonne qualité. L’asphalte est abîmé et même, parfois, laisse place à des chemins de terre. On pense que l’état de ces routes et leur petit nombre seraient la cause des incapacités de Théo et c’est ce que j’essaierai de démontrer dans la suite de mon doctorat. Connaître l’état de ces routes pourrait permettre de développer des interventions efficaces.»
Un exercice d’éloquence particulier
Ophélie Martinie est arrivée de France en janvier 2020 pour entreprendre son doctorat, qu’elle mène au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale de l’Université Laval. Cette neuropsychologue de formation, qui a pratiqué le ballet à un niveau avancé, a un intérêt à la fois «pour le corps et pour l’esprit».
«Pendant mon doctorat, dit-elle, j’avais envie de m’intéresser à un sujet qui permettait d’allier à la fois le cerveau et les problèmes moteurs. La population des enfants vivant avec la paralysie cérébrale se prêtait bien à ma recherche. La chose qui est belle avec eux est que leur cerveau est une sorte de machine capable de s’adapter. Ils ont des lésions importantes qui, finalement, réussissent à progresser. On les voit s’améliorer. Il y a des possibilités.»
Participer à Ma thèse en 180 secondes, qu’elle qualifie d’«exercice d’éloquence particulier», était une première pour elle. Vulgariser ses connaissances, elle vit cela un petit peu tous les jours avec les enfants qui participent à son projet. Dans sa préparation au concours, trouver une idée s’est avéré compliqué. Beaucoup d’ébauches, où elle écrivait tout ce qui lui passait par la tête, ont été nécessaires avant de trouver un fil conducteur. «J’ai fait relire mon texte par ma famille et par mon copain, qui participe aussi à Ma thèse en 180 secondes en France, raconte-t-elle. Ils m’ont donné de la rétroaction. Ensuite, j’ai travaillé mon texte devant un miroir parce que je suis très peu à l’aise pour parler en public. J’ai vraiment répété des centaines de fois, je pense. En mangeant, en me déplaçant dans le bus, en me couchant.»
Dix enfants
À ce jour, la chercheuse a recruté un total de 10 enfants, mais elle espère en recruter 20. L’échantillon se compose de 4 garçons et 6 filles âgés de 8 à 14 ans. La première rencontre avec eux a consisté en la prise d'images par résonance magnétique. La deuxième vise à mesurer leur capacité à manipuler certains objets.
Selon elle, les lésions très importantes au cerveau chez plusieurs enfants entraînent des défis méthodologiques. «Les logiciels sont parfois incapables d’interpréter correctement les lésions, explique Ophélie Martinie. C’est pourquoi nous avons commencé une collaboration avec une équipe de chercheurs de l’Université de Sherbrooke, des mathématiciens, physiciens et informaticiens spécialisés en neuro-imagerie. En paralysie cérébrale, la plupart des chercheurs dans le monde sont des cliniciens. Ils n’ont pas forcément la formation pour utiliser des logiciels complexes. Il faut créer une alliance entre les différents domaines de recherche. Permettre de faire des recherches de ce type, je pense que c’est ce que mon doctorat apporte.»
La doctorante a cosigné une revue systématique dans une publication savante sur la capacité des enfants vivant avec la paralysie cérébrale à anticiper le mouvement. Un autre article scientifique est en marche. Il portera sur la neuro-imagerie.
La finale du 22 mars comprenait un volet anglophone. Deux étudiantes et un étudiant ont présenté leur projet de recherche dans la langue de Shakespeare. Manal Al Dow, inscrite en médecine moléculaire, a reçu le premier prix pour son exposé «From Weakness to Wellness: Transforming Our Obese World in 3 Minutes». Elle participera à la finale de la Northeastern Association of Graduate Schools, en avril, ainsi qu’à la finale de l’est du Canada de la Canadian Association for Graduate Studies en juin.
L’enregistrement de la finale locale de Ma thèse en 180 secondes est accessible sur la chaîne YouTube de la Faculté. La présentation d’Ophélie Martinie débute à la trente-troisième minute.