La fameuse question arrive un jour ou l'autre: «Comment on fait les bébés?» Mais toutes les familles n'ont pas la même histoire de procréation, parce que ce n'est pas toujours un spermatozoïde de papa qui a fécondé l'ovule de maman. Comment s'y prend-on alors? On le dévoile ou non? À quel âge? De quelle manière? Et avec quels mots?
Kévin Lavoie, professeur à l'École de travail social et de criminologie, coanime depuis 2020 un collectif de recherche sur les dons de sperme et les ouvrages destinés à la jeunesse. «Les livres pour enfants sont une belle porte d'entrée pour aborder beaucoup de choses, dont ces questions-là. Les mots et les images, c'est puissant!»
L'heure du conte, dit-il, aide à construire l'identité de l'enfant, à normaliser une réalité familiale différente et à créer des liens entre les parents et les enfants. En prime, le récit peut être adapté et évoluer dans le temps.
La vérité, dès les premiers moments
Les recherches préconisent de dire la vérité aux enfants, souligne le professeur. «En général, un secret dans une famille envenime les relations. Et ça va finir par se savoir, parfois dans des circonstances délicates, voire dans des situations de crise», poursuit-il en évoquant une séparation, un décès ou un problème médical qui révèle que l'enfant ne partage pas le même ADN que son père. Les études montrent qu'il est même préférable d'intégrer le récit familial dès les premiers moments pour permettre aux parents de s'exercer.
Le hic, c'est que les livres jeunesse sur le sujet se font rares, particulièrement en français. Ce manque d'outils pour accompagner les familles et les intervenants a été soulevé par Marie-Alexia Allard, codirectrice de la clinique de psychologie Ensemble, spécialisée en périnatalité, avec qui Kévin Lavoie travaille en partenariat. «Au moment de la conception, les parents qui ont recours à la procréation assistée sont pris en charge par une équipe médicale et psychosociale. Mais après la naissance, ils sont isolés et laissés à eux-mêmes», relate le professeur.
Trente-deux livres analysés
Pour le projet de recherche, le collectif s'est penché sur 32 albums jeunesse abordant ce thème, surtout en anglais. Ils ont été analysés page par page, autant sous l'angle de la signature visuelle, du scénario, de la trame narrative, des mots employés que des personnages.
Comment le donneur de sperme y est-il présenté? «C'est un gentil monsieur qui a donné sa graine de vie, c'est quelque chose qui revient souvent. Parfois, ce n'est pas un personnage, mais juste une idée qui est évoquée, un sous-entendu entre les lignes. Ça varie beaucoup», indique le professeur Lavoie, dont l'équipe scientifique s'apprête à terminer le rapport.
Le collectif a aussi animé des groupes de discussion réunissant des parents d'enfants conçus par don de sperme pour sonder ce qui les rendait à l'aise ou mal à l'aise dans ces livres et faire ressortir les bonnes idées. Les réalités sont différentes pour un couple de femmes qui envisage la procréation assistée avec enthousiasme, une femme qui décide de fonder sa famille en solo ou un couple hétérosexuel dont le père est infertile. Dans ce dernier cas, le père peut ressentir un malaise à parler de conception ou avoir peur d'affecter son lien d'attachement avec l'enfant, des «craintes légitimes», indique le professeur. Il n'a d'ailleurs pas été possible de recruter assez de participants dans cette situation.
Ce sont donc six mères ayant eu recours à un don de sperme qui se sont jointes à la recherche participative. Kévin Lavoie mentionne que le projet, subventionné pour un an par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, devait s'arrêter après cette étape. «Mais tout le monde – les parents, les professionnels, les chercheurs –, on s'est enflammés. Après l'analyse de contenu, après les recommandations du collectif et des mères, on s'est dit: Il faut faire notre propre livre!»
Un récit universel sur la planche à dessin
Le professeur est donc allé chercher du financement supplémentaire pour inclure dans le projet l'écrivaine Juliana Léveillé-Trudel. Un premier scénario a été présenté au collectif l'été dernier, à l'occasion d'un pique-nique au parc Jarry, à Montréal, devant la clinique Ensemble. Un moment précieux pour le groupe qui avait jusque-là travaillé à distance, par l'intermédiaire de Zoom, dans le contexte pandémique… et une occasion de rencontrer les bébés, dit-il en souriant.
Une version révisée sera soumise à une maison d'édition en début d'année, un récit qui se veut universel pour que chaque famille puisse se l'approprier, avance le professeur Lavoie. «On va aussi faire un guide, un inventaire des albums qu'on a recensés avec des commentaires.» Une collection de coups de cœur donc, ainsi que des recommandations pour accompagner la lecture – avant, pendant et après –, parce que ce genre de récit peut faire émerger des émotions et des questions.
«On suggère de lire le livre d'abord pour soi-même, comme adulte. De se demander ce que l'on vit durant sa lecture, s'il soulève des questions délicates, si le scénario convient à notre réalité familiale.» L'objectif est de rassembler les conditions gagnantes pour que tout se passe bien.
«Je voulais créer un changement social»
Favoriser le bien-être des groupes marginalisés a toujours été le fil conducteur du professeur, embauché à l'Université Laval en 2019. «Les réalités atypiques, ça m'interpelle!»
Entre le cégep et l'université, Kévin Lavoie a beaucoup voyagé. Il a fait de la coopération internationale et il a travaillé à travers le Canada en sensibilisation et en prévention pour lutter contre les discriminations, notamment des communautés LGBTQ+. Il croit à l'éducation pour contrer l'ignorance et la méconnaissance. «Le travail social s'est un peu imposé, parce que je voulais créer un changement social.»
Après un baccalauréat à l'Université Laval, il a fait une maîtrise à l'Université du Québec en Outaouais et en partie à l'Université de Liège, en Belgique. Avec la professeure Isabel Côté, il a entamé des travaux de recherche sur la procréation assistée. La parentalité s'est ajoutée à son intérêt pour la diversité sexuelle et la diversité de genre. «Comme membre de la communauté LGBTQ+, j'avais déjà réfléchi à des façons de m'y prendre pour fonder une famille. Je suis aussi entouré de gens qui ont adopté, qui ont eu recours à la procréation assistée, qui ne forment pas un couple, mais qui vont fonder une famille comme coparents.»
Lauréat d'une bourse Vanier, il a poursuivi sur cette voie et fait un doctorat multidisciplinaire en sciences humaines appliquées à l'Université de Montréal. «La procréation assistée touche aux études féministes et de genre, à l'anthropologie, à la sociologie, au droit, au travail social. J'avais besoin d'un programme qui permet de faire des ponts entre les disciplines.»
Aujourd'hui, le professeur Lavoie aime croiser les savoirs, comme dans son collectif de recherche où scientifiques, professionnels, parents et artiste ont dialogué. En plus d'enseigner, il dirige des étudiants à la maîtrise en intervention auprès des personnes LGBTQ+ et en diversité familiale. «Je suis bien ouvert à accueillir d'autres étudiants dans le domaine de la procréation assistée. C'est peut-être moins connu en travail social.»
Impliqué dans la collectivité et affilié à une dizaine de groupes de recherche, il s'affaire en ce moment à monter une «programmation scientifique», soit un chantier de travail pour les prochaines années. Ses projets combineront ses expertises pour penser la réforme du droit de la famille au Québec, pour adapter les pratiques d'intervention dans les milieux cliniques, pour penser la formation de la relève dans les métiers de relation d'aide, tout en continuant de sensibiliser la population. Kévin Lavoie poursuit sa mission: provoquer un changement de société.
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