Le 12 décembre a permis de semer la première graine d’un projet voué à devenir grand et novateur. Le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN) et l’Université Laval ont signé une entente pour créer un nouveau modèle d’enseignement propre aux premiers peuples. Une «Maison des savoirs» qui reflétera leurs langues, leurs cultures et leurs visions et dont les futurs diplômés autochtones pourront aider les communautés à faire face aux différents enjeux de société.
«On a vraiment avancé dans ce monde. L’évolution est belle à voir!», a lancé en conférence de presse John Martin, le chef de Gesgapegiag et membre du comité des chefs du CEPN. Il a rappelé que l’article 14 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones encourage les États à appuyer les peuples indigènes pour qu'ils puissent établir leurs propres institutions sous leurs juridictions et selon leurs croyances et leurs besoins.
Si, pour beaucoup de membres des Premières Nations, l’éducation a été un «espace négatif, noir et de honte», les choses sont en train de changer, rêve tout haut la sénatrice Michèle Audette, conseillère principale à la réconciliation et à l'éducation autochtone à l'Université Laval. «Cette Maison va accepter mes 10 000 ans d’ADN de savoirs. Pas de Canada Goose pendant 10 000 ans, c’est parce qu’on savait comment gérer le frette! Et mon autre moitié québécoise, et ses 500 ans d’occupation, prennent pas mal de place dans le monde de l’éducation. Donc, c’est de retrouver un équilibre», a illustré la sénatrice et conseillère née d'un père québécois et d'une mère innue.
Une première au Québec
«Ce pôle universitaire autochtone est une première au Québec», a pour sa part souligné Cathia Bergeron, vice-rectrice aux études et aux affaires étudiantes, responsable de la santé, en ajoutant que le projet en était à ses balbutiements. «Tout est à construire.» L’Université Laval aura un rôle de facilitateur en partageant son expertise en éducation et en recherche ainsi que ses connaissances dans les processus administratifs.
La vice-rectrice a d’ailleurs invité tous les établissements d’enseignement supérieur québécois à collaborer à «ce projet qui se veut le plus inclusif possible». «C’est vraiment en travaillant ensemble avec les idées et avec l’expertise de plusieurs partenaires que la Maison des savoirs va répondre le mieux possible aux besoins et satisfaire les exigences à la fois des leaders autochtones et du ministère de l’Enseignement supérieur.»
Le CEPN souligne une aide de deux millions de dollars sur cinq ans du ministère pour monter le plan d’affaires de ce pôle universitaire, qui aura une gouvernance majoritairement autochtone. La formule utilisée, l'enseignement en présence ou en ligne, les cours et les programmes à prioriser selon les besoins, tout reste à déterminer. Beaucoup de consultations sont à prévoir. «C’est le fun qu’on puisse partir d’une quasi-page blanche pour ne pas imposer un agenda au leadership autochtone. C’est une approche décolonisée», indique Michèle Audette.
Pour Denis Gros-Louis, directeur général du CEPN, la Maison des savoirs est une suite logique au collège Kiuna, seul établissement postsecondaire avec une mission axée sur les Premières Nations. Il rappelle qu’au début des années 1960, quand le Canada a reconnu la citoyenneté aux Premières Nations et a permis à ses membres d’aller à l’école, avoir un diplôme de niveau secondaire représentait beaucoup. «Mais on a dépassé ça. Aller au cégep, à l’université, c’est plus qu’une politique sociale, c’est l’avenir de nos communautés.»
Cette initiative fait partie de la mission sociale de l’Université, insiste Cathia Bergeron. Elle rappelle que le campus accueille environ 400 étudiantes et étudiants autodéclarés issus des Premières Nations. «On espère que celles et ceux qui ne s’autodéclarent pas auront la fierté de le faire», indique la vice-rectrice, qui souhaite voir ce nombre doubler au cours des prochaines années.
Le partenariat avec le CEPN est du même type que celui noué avec la Société immobilière du Regroupement des centres d'amitié autochtones du Québec, illustre Cathia Bergeron. Elle rappelle que l’Université prévoit la construction, sur le campus, d’un nouveau milieu de vie pour accueillir les étudiantes et étudiants autochtones et leurs familles. Un environnement adapté à leurs besoins, sécuritaire, une option qui s’ajoutera à la formation en ligne pour ceux qui préfèrent cette façon d’apprendre.
Denis Gros-Louis a mentionné que beaucoup d’étudiants autochtones aux cycles supérieurs ont déjà deux ou trois enfants, ce qui complique parfois les études en milieu urbain.
L’aînée innue Elisabeth Ashini, présente lors de l’annonce du jour, s'est réjouie pour ses petits-enfants. «Moi, quand j’ai fait mon cours d’infirmière, j’étais seule, je ne parlais pas souvent ma langue. Ils ne se sentiront pas tout seuls, ils seront avec d’autres», a-t-elle témoigné.