Que vous regardiez ou pas le tableau des valeurs nutritives des aliments que vous achetez, sachez qu'une équipe scientifique s'y penche pour vous. Soupes prêtes à servir, pizzas congelées, sauces pour pâtes et céréales à déjeuner sont scrutées pour mesurer leur teneur en sel, en sucre et en gras. Une fois les excès démontrés, l'industrie prendra-t-elle une meilleure avenue pour la santé?
«L'alimentation joue un rôle dans la prévalence des maladies chroniques», souligne la professeure de nutrition Véronique Provencher. Elle est directrice scientifique de l'Observatoire de la qualité de l'offre alimentaire, né en 2016 d'une volonté de différents ministères et organisations des secteurs alimentaires et de la santé de mieux comprendre ce qui se retrouve dans l'assiette des Québécois.
Ce genre de recherches existait déjà en Australie, en Nouvelle-Zélande et même en Ontario. Mais les habitudes alimentaires changent d'un endroit à l'autre et un portrait québécois s'imposait, indique la professeure Provencher, qui partage aujourd'hui ses résultats avec ses collègues de l'extérieur.
Cinq mille aliments évalués
Depuis le lancement de l'Observatoire, rattaché à l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l'Université Laval (INAF), quelque 5000 aliments transformés ont été évalués. Ils ont été répartis dans 15 catégories, choisies pour leurs répercussions sur la santé de la population, leur popularité auprès des consommateurs et leur potentiel d'amélioration.
L'équipe de recherche a acheté ces produits en épicerie pour collecter l'information sur les emballages. Elle a aussi eu accès aux données d'achat des Québécois pour ces catégories d'aliments. Donc, en plus de pouvoir faire le portrait de 331 sortes de céréales et de relever la quantité de sucre et de gras qu'elles contiennent, il a été possible de connaître celles qui sont les plus consommées, illustre Véronique Provencher.
«Ça fait une différence importante d'un point de vue de santé publique, parce qu'on ne veut pas nécessairement cibler les produits que les gens ne mangent pas, mais changer les “gros vendeurs” qui ont un impact sur leur santé.»
Le défi: s'attaquer aux «gros vendeurs»
Voilà un défi de taille pour l'industrie alimentaire: modifier ces aliments populaires qui se vendent bien. «Le produit n'a pas à devenir parfait, nuance la professeure. De petites améliorations, comme une réduction de sucre ou de sel de 5%, peuvent faire une bonne différence à l'échelle de la population.» Elle souligne que le seuil à retenir dans le tableau des valeurs nutritives est 15%. «En haut de ça, c'est riche en gras, en sucre et en sel.»
Malheureusement, dit-elle, la stratégie de l'industrie est souvent de sortir une nouvelle gamme de produits à valeur santé, tout en gardant le produit vedette, donc de contourner le problème plutôt que de s'y attaquer. «Nous, on ne peut pas forcer les gens de l'industrie, c'est à eux de choisir», indique la directrice scientifique dont l'organisme a pour rôle d'informer et de guider, tout en restant neutre et objectif.
En plus de donner accès à ses rapports complets d'une cinquantaine de pages pour chaque catégorie d'aliments, l'Observatoire a créé des fiches de faits saillants de deux pages pour renseigner plus efficacement le gouvernement, l'industrie et le public. «On produit des données rigoureuses, très complètes, on veut qu'elles puissent être utilisées», poursuit Véronique Provencher.
L'une de ses étudiantes a collaboré avec le Conseil de transformation alimentaire du Québec et plus particulièrement l'industrie de la boulangerie, alors que les données montrent que la quantité de sel est élevée dans les pains tranchés, un produit qu'on mange tous les jours. «Elle a fait des entrevues pour voir comment présenter nos résultats pour qu'ils soient compris, qu'ils aient du sens et qu'ils incitent le milieu à revoir ses formulations pour réduire la quantité de sel et augmenter la quantité de fibres, par exemple.»
La hantise du symbole nutritionnel
Si certaines stratégies de politiques publiques sont volontaires et incitent au changement, d'autres sont obligatoires, relève la professeure. Comme Santé Canada, qui s'est penché sur l'étiquetage des aliments. «Un symbole nutritionnel sur le devant de l'emballage est exigé pour les aliments ayant une teneur élevée en l'un ou en plusieurs de ces nutriments: le sodium, les sucres, les gras saturés. L'industrie alimentaire a jusqu'au 1 janvier 2026 pour apporter ces modifications», peut-on lire sur le site du gouvernement fédéral.
«C'est là où les gens de l'industrie ont de l'intérêt pour nos résultats parce qu'ils ne veulent pas de symbole sur le devant de leurs d'emballages. Avec nos données, ils sont capables d'évaluer quels sont les produits à cibler. Ça ajoute une motivation supplémentaire à changer», plaide la professeure.
Le rôle des étudiants
Les travaux de l'Observatoire ont mis en lumière des données préoccupantes – les céréales à déjeuner dont les emballages visent les enfants contiennent une importante quantité de sucre –, mais aussi de belles surprises. Une étudiante a découvert que certains yogourts et barres granola destinés aux jeunes ont une meilleure valeur nutritive, par leur format plus petit et plus adapté. «Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain», lance Véronique Provencher, qui préfère ne pas diaboliser les aliments transformés.
Cette session-ci, un autre étudiant s'intéresse aux versions végétales d'aliments d'origine animale. «On se dit que parce que c'est végétal, c'est mieux pour la santé. Mais est-ce vraiment le cas? C'est ce qu'on va aller regarder», annonce la directrice scientifique, en soulignant que c'est le rôle des étudiants de cycles supérieurs liés à l'Observatoire de jeter un œil plus pointu sur ce genre de questions.
Un travail à recommencer
Comme l'industrie alimentaire bouge constamment, avec de nouveaux produits sur le marché, le travail d'évaluation est à recommencer, convient la professeure. Le portrait initial de l'Observatoire couvrait la période de 2016 à 2022. Une aide financière de 3M$ reçue du ministère de la Santé et des Services sociaux permet de faire un suivi de la qualité de l'offre. «L'idée, c'est de faire un nouveau portrait aux cinq ans», indique Véronique Provencher, qui finalise un second rapport sur les céréales à déjeuner. Y a-t-il eu des améliorations? «On est restés un peu au même point, alors on met l'accent sur les mêmes messages», dit-elle sans se décourager.
La psychologie de l'alimentation
Véronique Provencher a une approche qui considère la dimension psychologique de l'alimentation. Elle détient d'ailleurs un postdoctorat en psychologie de l'Université de Toronto, obtenu après avoir fait tout son parcours universitaire en nutrition à l'Université Laval.
Celle qui a grandi sur une ferme laitière à Grand-St-Esprit, dans le Centre-du-Québec, n'avait jamais imaginé faire une carrière universitaire en recherche. Si elle a hésité entre l'agronomie et la nutrition pour son choix d'études, son cœur la guidait au départ vers la psychologie. Un domaine «hyper compétitif» qu'elle a décidé de laisser de côté.
Sa rencontre avec la professeure Simone Lemieux, pour qui elle a été auxiliaire de recherche à l'École de nutrition, a confirmé ce penchant naturel pour la psychologie. Elle travaillait sur les comportements alimentaires.
Devenue chercheuse boursière et professeure adjointe en 2009 à l'Université Laval, Véronique Provencher a été titularisée en 2012. «Quand je suis arrivée ici, c'était vraiment avec un chapeau de nutrition en santé publique», dit-elle. Elle a dû transposer son bagage sur les comportements alimentaires individuels à l'échelle d'une communauté, d'une population. «L'information qu'on a sur l'emballage, comment va-t-elle nous influencer?», illustre la chercheuse.
Puis, l'aventure de l'Observatoire a commencé. «À l'époque de la consultation, au début des travaux, quand est venu le temps de choisir les catégories d'aliments, il y avait autant des gens de la Santé publique, que des consommateurs et des gens de l'industrie qui étaient tous assis ensemble. C'est rare!», salue-t-elle encore aujourd'hui.
Ces efforts et ce travail collectif ont permis à l'Observatoire de remporter le Grand Prix DUX 2019 dans la catégorie Projet, entreprise non alimentaire – institution. Un concours visant à récompenser les produits et initiatives qui incitent les Canadiens à manger mieux. Véronique Provencher a aussi obtenu le Mérite annuel 2020 de l'Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec, alors que le site Web de l'Observatoire a reçu le Prix publication professionnelle 2020 de l'Ordre.
La charge des femmes
Le sujet revient à quelques reprises durant l'entrevue. Tous ces travaux de recherche ne visent pas à accroître le sentiment de culpabilité des consommateurs qui achètent des aliments transformés. Soupes en boîte et autres repas surgelés ont mauvaise presse, mais le jour où ces produits disparaîtront des tablettes n'est pas arrivé, alors aussi bien les améliorer, soutient la professeure.
À une époque où il est de bon ton de faire son propre pain, Véronique Provencher craint par ailleurs que cette charge pèse sur les femmes et les mères. «C'est un enjeu qui m'intéresse beaucoup, l'hyperresponsabilisation des femmes par rapport à la saine alimentation.» Un sujet, peu étudié avec une approche sociale, qu'elle commence à explorer. «J'aimerais que ce soit ce qui m'anime pour les prochaines années», conclut-elle.