«J'ai toujours été fier de provenir de la nation innue, mais je n'ai plus peur de le dire.» Samuel Nepton cachait ses origines au collège, au baccalauréat, même à la maîtrise, pour se protéger des commentaires désobligeants de ceux qui lui reprochent de recevoir de l'aide du gouvernement pour étudier. Le doctorant et chargé de cours en philosophie à l'Université Laval se dévoile aujourd'hui sans crainte et embrasse cette vague de reconnaissance qui déferle sur son campus.
Il a raconté comment Michèle Audette, sénatrice et conseillère principale à la réconciliation et à l'éducation autochtone à l'Université, l'avait recruté comme ambassadeur. Comment il avait hésité, n'ayant pas les traits particulièrement typés des premiers peuples. «Personne ne peut représenter une nation entière, mais tu peux représenter ta part», lui a-t-elle répliqué. «Je suis l'un d'eux!», dit-il aujourd'hui dans un immense sourire. Sous l'œil humide de la rectrice Sophie D'Amours, il a énuméré les démarches, les projets de l'Université, qui n'hésite pas à ériger un shaputuan sur le Grand Axe et à organiser un pow-wow, que ce soit durant le dernier congrès scientifique de l'Acfas, en mai, ou ce vendredi 30 septembre, pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
«On vit un grand moment à l'Université, on vit une transformation», a confié Cathia Bergeron, vice-rectrice aux études et aux affaires étudiantes, responsable de la santé, en marge de cette journée qui souligne l'histoire tragique des pensionnats autochtones et honore les personnes survivantes. Ce vent de changement est propulsé par la Fondation MasterCard, dont une délégation était en visite sur le campus. En janvier, l'Université et la Fondation, par son programme EleV, signaient une entente de 15 millions de dollars sur cinq ans pour favoriser l'accès, la poursuite et la réussite des études universitaires d'étudiantes et étudiants provenant de communautés autochtones du Québec.
Sophie D'Amours a salué la présence, l'écoute et l'empathie de Reeta Roy, présidente et PDG de la Fondation, «la leader la plus importante du monde de la philanthropie jamais accueillie à l'Université Laval», à la hauteur des Bill Gates, a-t-elle illustré.
De l'entrepreneuriat à l'archéologie
De cette entente découlent des projets en voie de réalisation, pour que les jeunes provenant des Premières Nations embrassent les études à leur manière et, éventuellement, que certains intègrent le corps professoral. «C'est le temps plus que jamais d'intégrer les savoirs des peuples autochtones», a lancé Cathia Bergeron.
Sous le shaputuan, Joey Hébert, entrepreneur atikamekw et fondateur de l'entreprise MOS, a expliqué avoir sauté dans l'aventure en devenant responsable de modules de formation pour les entrepreneurs autochtones. Pourquoi créer un programme d'entrepreneuriat? Parce que c'est la base et les racines de beaucoup de bons changements, a-t-il plaidé avec éloquence. Sa volonté, bien que chaque communauté a ses spécificités, est que tous les étudiants se reconnaissent dans cette formation.
Le travail est déjà entamé dans le cadre d'un programme de formation en archéologie. L'aide de la Fondation permettra d'aller plus loin. Une étudiante des premiers peuples, Raphaëlle, a raconté comment le chantier-école de la rivière des Roches, un site paléohistorique datant de plusieurs centaines d'années, lui avait permis d'en apprendre plus sur sa culture. «L'archéologie apporte quelque chose de significatif, on se réapproprie notre histoire.» Au-delà des fouilles, avec des jeunes de 15 à 30 ans de Wendake qui se sont greffés à l'équipe d'archéologues dont elle fait partie, ils ont pu prendre le temps de remercier la Terre, de parler leur langue («On est encore en apprentissage», a-t-elle spécifié), de s'arrêter pour écouter la rivière. Une véritable reconnexion.
Dans la même optique, l'Université est en train de construire un programme de formation pour gardiennes et gardiens du territoire. «Notre territoire, c'est notre maison. On a notre place à l'Université. Je crois que ça va arriver et qu'on va le préserver notre Nitassinan», a glissé Yasmine Fontaine, innue, détentrice d'un baccalauréat en anthropologie et chargée de formation à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique.
«On voit que l'Université Laval est engagée avec les communautés, que le dialogue est commencé, qu'elle cherche comment garder les jeunes autochtones au centre de ce dialogue et construire des programmes qui vont répondre à leurs besoins», a constaté Jennifer Brennan, directrice des programmes canadiens à la Fondation MasterCard, après avoir écouté les présentations.
«On partage nos réalisations, les pas qu'on a franchis pour notre rapprochement avec les Premières Nations et leur inclusion dans ce qu'on fait à l'Université. Mais on partage aussi un rapprochement très humain, au-delà des projets, de la dimension académique, a souligné Cathia Bergeron. Comment, dans l'Histoire, on a pu être divisés et comment, maintenant, on est ailleurs, on veut se regarder les yeux dans les yeux, se comprendre et réellement se réconcilier.»
Une aînée innue survivante des pensionnats, Elisabeth Ashini, a d'ailleurs fait ce constat au courant de la cérémonie: «La cicatrice sera toujours là, mais il faut être résilient. Je remarque que les Québécois et les Québécoises, à se côtoyer, vous nous connaissez un peu plus qu'avant.»
Les battements de cœur de la Terre
Un peu plus tôt, le tambour du groupe RedTail Spirit Singers résonnait sur les murs des pavillons bordant le Grand Axe. Le ciel était aussi bleu que la foule affichait la couleur orange, symbole de la solidarité avec les victimes des pensionnats et la petite Phyllis (Jack) Webstad, qui s'était fait dépouiller du chandail orange que sa grand-mère lui avait offert à son arrivée à la Mission Saint-Joseph, en Colombie-Britannique.
Le rythme du tambour, c'est le battement de cœur de la Terre Mère, explique le musicien Michel Tremblay, prénommé Wishe, en langue mohawk. Son groupe était accompagné de danseuses et danseurs de pow-wow provenant des nations Blackfoot, Wendat, Atikamekw, Innu et Métis. Le petit Liam, presque 3 ans, Ojibwé et Wendat, a volé la vedette sur la piste de danse, attirant même la rectrice à sa rencontre avant le spectacle. Un autre danseur, Makoyii'Nitsitsikin, a expliqué que ses mouvements de pieds provenaient de l'habitude de taper les hautes herbes avant de chasser ou de faire la guerre. Après la prestation, toutes les personnes présentes se sont donné la main pour danser en cercle.
Pour clore cette journée, des lumières orange éclaireront les drapeaux du Canada, du Québec et de l'Université Laval à l'entrée sud du campus.