«Le lancement du Marie-Antoine a eu lieu en 1960 à l’île d’Orléans. Y’avait beaucoup de monde qui se sont présentés, dont le curé du village qui est venu baptiser le bateau. J’aime bien cette idée qu’un bateau est plus qu’un objet. Y’a quelque chose de presque anthropomorphique dans un bateau, on lui donne un caractère humain.»
C’est ainsi que débute l’une des deux capsules audio que Jean-François Lachance, résident de l’île d’Orléans, consacre à son grand-père François-Xavier Lachance et à son chantier naval situé autrefois dans la municipalité de Saint-Laurent. Quelques centaines de bateaux de plaisance et des milliers de canots et de chaloupes en bois ont été construits à cet endroit entre 1925 et 1976. Les capsules, elles, font partie des Constellations de l’Île d’Orléans, une réalisation sur le patrimoine maritime du territoire par des étudiants et des professionnels du Laboratoire d’enquête ethnologique et multimédia (LEEM) de l’Université Laval.
L’application mobile bilingue Littoral – Les Constellations de l’Île d’Orléans a été lancée au mois de juillet dernier à Saint-Laurent par des représentants de la MRC de L’Île-d’Orléans, promotrice du projet. Elle est offerte gratuitement sur Apple Store et Google Play. Les Constellations sont complémentaires aux panneaux interprétatifs existants. Elles se présentent sous la forme de 48 parcours pédestres interprétatifs dont la narration est assurée par des résidents de l’île. Ceux-ci partagent des souvenirs et des anecdotes à propos de leur rapport au fleuve et leur insularité. Ces captures sonores, d’une durée d’environ deux minutes chacune, proposent donc une narration plus intime à travers les yeux et le cœur de ceux qui habitent les lieux. Chaque parcours longe le littoral et se connecte au noyau villageois sur une distance variant entre 3 et 5 kilomètres. Le but visé consiste à poser un regard différent sur l’île d’Orléans à partir du littoral plutôt que de la route alors que se sont rétrécis, au cours des décennies, le contact avec le rivage et les percées visuelles sur le fleuve.
Chacune des six municipalités de l’île possède sa propre constellation au nom pittoresque. Celle de Saint-Laurent s’appelle Constellation de la Petite Chaloupe et de la Grande Chaloupe. Elle évoque des histoires de pêcheurs d’anguille, de chaloupes de bois, de marine marchande et de grands quais.
«Au LEEM, nous avons fait beaucoup de projets audiovisuels, ici on a préféré mettre l’accent sur l’audio seul», explique le professeur au Département des sciences historiques de l’Université Laval, directeur du LEEM et directeur scientifique du projet Constellations, Laurier Turgeon. «Nous nous sommes dit: il y a déjà un visuel très riche, on ne va pas le reproduire, poursuit-il. On va plutôt inviter les gens à regarder ce paysage en écoutant les témoignages de gens de l’île pour avoir une autre perspective et plus de profondeur.»
Un patrimoine riche et diversifié
L’intérêt du personnel du Laboratoire pour l’île d’Orléans remonte à plus de cinq ans. Le premier projet, une initiative d’un comité de citoyens, a consisté à faire l’inventaire du patrimoine religieux du territoire. La collaboration s’est ensuite poursuivie sur trois autres projets, lesquels ont pris fin entre décembre 2021 et juillet 2022. Outre le projet Constellations, il y a Mes souvenirs de Félix Leclerc à l’Île d’Orléans, qui consiste en des témoignages d’insulaires qui ont connu le célèbre chansonnier durant les quelque 20 ans qu’il a vécus à l’île. Il y aussi eu la réalisation d’une série de sept films documentaires sur autant de «petits trésors» patrimoniaux méconnus.
Selon le professeur Turgeon, l’île d’Orléans représente un haut lieu du patrimoine matériel et immatériel au Québec. «Ce patrimoine, souligne-t-il, est ancien, car le territoire a été occupé par les Européens dès le début de la colonisation au 17e siècle. À l’île, on trouve parmi les plus anciennes familles, maisons, églises et traditions orales du Québec. La richesse même de l’île nous avait attirée, elle nous a gardés là pendant plusieurs années.»
Les sept courts films ethnographiques ont été réalisés au printemps dernier dans le cadre d’une école d’été. D’une durée variant entre 5 et 10 minutes chacun, ces films ont pour sujets, entre autres, l’une des plus anciennes forges au Québec, le cimetière marin de la municipalité de Saint-Jean, qui fait face au fleuve et dont les nombreuses tombes sont celles de marins et de pilotes du Saint-Laurent, et la villa Porteous de Sainte-Pétronille classée parmi les plus anciennes et les plus belles au Canada.
«Nous n’avions pas pu travailler sur ces éléments patrimoniaux jusqu’à présent, dit-il. La villa Porteous est un vrai bijou d’architecture. Elle est très belle avec ses jardins de style italien. Cette résidence d’été près du fleuve a été construite à la fin du 19e siècle par un financier montréalais. Elle a été vendue dans les années 1950. Elle est demeurée telle quelle, sauf pour l’ajout d’une chapelle. La villa Porteous porte aujourd’hui le nom de Foyer de charité Notre-Dame d’Orléans.»
Amateur d’art, Charles Æmelius Lambe Porteous a fait appel à des artistes dans la décoration de la villa. Dans une grande pièce, sur la partie haute des murs, des scènes de la vie à l’île ont été peintes. On peut voir notamment les labours et l’arrivée des bateaux, de même que la cueillette des pommes et les sucres. Quant aux jardins, aménagés par trois architectes, ils s’inspirent du style italien avec leurs escaliers de pierre en gradins, leurs marbres et statues, leurs fontaines et étangs.
Les films seront en ligne sous peu sur le site du LEEM.
Sur l’île, avec le poète
C’est pour garder bien vivante la mémoire collective de l’île que L’Espace patrimonial Félix-Leclerc a lancé, en mai 2021 et avec la collaboration du LEEM, son projet d’enquête ethnologique Mes souvenirs de Félix Leclercà l’Île d’Orléans. Le but consistait, grâce aux témoignages de citoyens de l’île, à mieux connaître la vie de Félix Leclerc en ce lieu qu’il a habité près de 20 ans et qui en retour a habité son œuvre. Cette enquête a accouché d’un film documentaire de près de 30 minutes contenant une quinzaine d’entrevues dans lesquelles des citoyens de l’île partagent leurs histoires, anecdotes ou rencontres avec le célèbre chansonnier. Agissant comme fil conducteur, Nathalie Leclerc, la fille du poète, intervient une demi-douzaine de fois dans le récit.
«L’histoire a commencé quand il était à Vaudreuil, raconte-t-elle en guise d’introduction au documentaire. Sa mère est morte dans les années cinquante. Il était très triste et bouleversé. Il a entendu dire que l’île d’Orléans serait la place de ses ancêtres, les Leclerc. Dès qu’il est arrivé, il a eu un coup de foudre tout de suite pour l’île d’Orléans. Il s’est senti bien, il s’est senti mieux. Il a dû voir ses ancêtres quelque part, au travers dans le champ! Mais je sais qu’il a vraiment aimé cet endroit-là.»
«Ce sont de beaux témoignages et j’ai beaucoup appris sur Félix Leclerc, indique le directeur du projet, Laurier Turgeon. Il était assez réservé et il demeurait assez discret. Ce qui m’a frappé est le caractère élogieux des témoignages. Il s’était bien intégré à la vie de l’île et il était très à l’aise avec tout le monde. Tous ceux qui ont témoigné appréciaient beaucoup cette modestie chez Félix, son caractère très abordable et son ouverture envers les gens simples. Ce choix de vivre là où ses ancêtres venus de France s’étaient établis était un peu comme un retour aux sources.»
Pour en savoir plus:
Projet Littoral – Les Constellations de l’Île d’Orléans
Projet Mes souvenirs de Félix Leclercà l’Île d’Orléans