18 juin 2022
Un jeu vidéo sur les soins infirmiers en oncologie pédiatrique
Entourée d’une équipe multidisciplinaire, la professeure Geneviève Roch met sur pied une formation numérique interactive pour améliorer les pratiques auprès des enfants atteints d’un cancer et de leurs familles
Le diagnostic d’un cancer chez un enfant est, à coup sûr, une nouvelle bouleversante. Ce qui soulage toutefois un peu les familles, c’est de savoir que, grâce aux nombreuses avancées thérapeutiques, l’espoir d’une guérison est loin d’être utopique. De 30% en 1980, le taux de guérison global des principaux types de cancers pédiatriques est passé à plus de 80% aujourd’hui.
«Les pronostics de survie sont de plus en plus encourageants. C’est merveilleux, cependant les avancées en recherche impliquent des transformations importantes des pratiques en oncologie pédiatrique. Toutes ces transformations doivent donc être accompagnées de mises à jour constantes chez les infirmières et infirmiers, qui jouent un rôle essentiel dans la qualité des soins et l’accompagnement des familles», affirme Geneviève Roch, professeure à la Faculté des sciences infirmières.
Pour aider ces professionnels de la santé, la professeure codirige un vaste projet de recherche interdisciplinaire visant d'élaborer, avec le concours de familles partenaires, une innovation pour consolider les expertises humaines et améliorer les soins. Sous quelle forme ? Celle d’un apprentissage numérique et ludique. L’infirmière Geneviève Roch avoue, pourtant, ne pas s’y connaître beaucoup en jeu vidéo. «C’est un tout nouvel univers pour moi!», confie-t-elle. Par contre, elle est depuis longtemps une spécialiste de l’optimisation des soins de santé.
Techniques infirmières… ou techniques en génie mécanique
«Mes parents m’ont transmis de belles valeurs», témoigne la professeure Roch. Son père – technicien – et sa mère – avec un handicap, mais très engagée dans le milieu communautaire – ont fortement valorisé l’éducation et l’engagement. Dès l’école secondaire, Geneviève Roch s’est donc démarquée en remportant le concours Promotion jeunes entrepreneurs – Jeunesse Rive-Sud de la Banque Nationale grâce à un projet pour sensibiliser à l’intégration des personnes handicapées.
Au moment de s’inscrire au cégep, la jeune étudiante hésite sur le programme à choisir. Elle vise des études universitaires, mais souhaite tout d’abord acquérir une formation qui lui permettra de payer de telles études. «Les programmes de techniques infirmières et de techniques en génie mécanique permettaient de poursuivre facilement une formation dans le même domaine d’études à l’université. J’ai opté pour les soins infirmiers parce que ma grande sœur avait étudié dans ce programme et que je pensais pouvoir économiser sur l’achat de livres en lui empruntant les siens», révèle-t-elle en riant. Heureusement, elle a tout de suite aimé les soins infirmiers et n’a jamais regretté son choix.
À 19 ans, Geneviève Roch commence à travailler comme infirmière en cardiologie et en soins coronariens à l’Hôpital Charles-Le Moyne. C’était en 1998, tout juste après que les infirmières et infirmiers aient été incités à prendre une retraite précoce. «C’était le pire moment de la pénurie de personnel infirmier. Au début, j’ai fait partie d’une "équipe volante". Pour améliorer mon sort, j’ai passé des examens pour travailler en santé mentale. Je les ai réussis et on m’a offert un poste dans ce domaine. Le jour, je travaillais en santé mentale, et la nuit, j’ai continué à travailler en cardiologie. Ça faisait beaucoup d’heures par semaine. En plus, à ce moment-là, je me suis aussi inscrite au baccalauréat», raconte la vaillante infirmière.
À cette époque, elle vit ce qu’on appelle «le syndrome du choc de la réalité» chez les nouveaux membres du corps infirmier. «La relève infirmière, soutient-elle, est très bien formée et, lorsqu’elle arrive sur le marché du travail, elle espère mettre en pratique toutes ses connaissances. Malheureusement, il y a une différence marquée entre ce qu’elle a appris et ce qu’elle fait.»
Autre déception, peu de savoir est partagé entre collègues. Naïve et enthousiaste, Geneviève Roch avait alors décidé d’assister, pendant ses vacances, à un gros congrès américain. Au retour, excitée par tout ce qu’elle y avait appris, elle voulait organiser une activité pour partager ses nouvelles connaissances. «On m’a répondu que j’étais trop jeune et inexpérimentée. Ça m’a sidérée. Je n’ai pas compris cette réaction. En fait, cette attitude a été un incitatif à la poursuite de mes études. Selon moi, l’apprentissage se fait tout au long d’une vie et tout partage de connaissances a de la valeur. Avec du recul, je suis plus que jamais convaincue que l’amélioration des soins passe par cette voie», déclare la professeure Roch.
Des études poussées en optimisation des soins
«J’étais une diplômée universitaire "de première génération" qui n’avait jamais envisagé les cycles supérieurs. La maîtrise est un hasard», avoue-t-elle. Outre la volonté d’apprendre davantage, il y a aussi l’admiration qu’elle porte aux travaux d’un professeur en santé du travail qui la pousse vers la maîtrise. Elle souhaite s’inspirer de ces travaux pour repenser les environnements de travail en soins infirmiers et les adapter à des pratiques plus humanistes.
Rapidement, ses professeurs l’incitent à faire un passage accéléré au doctorat. Elle accepte l’idée, surtout parce que l’Université de Montréal propose un nouveau programme de 3e cycle axé sur la pratique. Le programme FERASI, avant-gardiste pour l’époque, misait sur différents partenariats dans la formation, l’accompagnement de gestionnaires du milieu hospitalier dans les recherches et une résidence de recherche en organisation de santé. L’expertise de l’infirmière Roch dépasse alors celle des soins pour s’attacher également aux traitements et aux coûts dans une perspective d’optimisation des soins (perspective care, cure, cost).
Toutefois, faire un doctorat la mène à un premier deuil. Bourse d’études oblige, elle doit renoncer à son emploi d’infirmière. «Je voulais tellement continuer à pratiquer que j’avais offert à l’hôpital de travailler bénévolement, mais une bénévole ne peut poser des actes infirmiers. Je suis plutôt devenue chargée d’enseignement, ce qui m’a permis de vivre la pratique par l’intermédiaire de mes étudiants», confie-t-elle.
Une femme engagée
Dès l’âge de 19 ans, Geneviève Roch s’implique dans plusieurs comités de soins de santé, dont l’Ordre régional des infirmières et infirmiers de la Montérégie. De fil en aiguille, elle devient représentante du comité jeunesse de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec pour la création du Groupe espace santé. Cette association organise des cafés scientifiques dans lesquels une personnalité publique est invitée à débattre d’un enjeu de santé avec des gestionnaires, des professionnels, des politiciens, des membres de groupes communautaires et des citoyens. C’est à ce moment qu’elle mesure à quel point les enjeux de santé sont liés aux jeux de pouvoir. «Un avis scientifique, dit-elle, ne pèse souvent pas bien lourd sans appui politique.» De cette expérience est né son intérêt pour l’écosystème politique en soins de santé. En 2011, elle a codirigé avec le professeur émérite Michel O’Neill et le gestionnaire de Santé Canada Michel Boyer un ouvrage sur le sujet, Petit manuel d’analyse et d’intervention politique en santé.
Ainsi que Geneviève Roch le souligne, c’est un peu son penchant pour l’engagement social qui est à l’origine de sa carrière à l’Université Laval. En 2006, présidente de son association étudiante, elle reçoit l’appel de candidatures. À ce moment, elle préparait un stage postdoctoral à l’Université de York, mais a tout de même postulé. Quand on lui a offert le poste, elle a accepté, mais avec un pincement au cœur parce qu’elle renonçait au stage. «La recherche me passionnait et l’idée de m’y consacrer à temps plein m’enchantait. Ce fut le deuxième deuil de ma carrière… même si j’aime aussi beaucoup l’enseignement», admet-elle.
Depuis son entrée en poste, elle combine habilement enseignement et recherche. Ses travaux touchent essentiellement à l’organisation et à l’optimisation des soins de santé, notamment dans le domaine des soins périnataux.
Les familles partenaires, au cœur de son nouveau projet
Depuis plusieurs mois déjà, Geneviève Roch œuvre à mettre sur pied le projet Meilleures pratiques en oncologie pédiatrique: recherche appliquée auprès des familles (MP OncoPed-Familles), qu’elle codirige avec Bruno Michon de la Faculté de médecine, au Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval. Financé par la Fondation Charles-Bruneau, ce projet – qui réunit notamment des spécialistes en sciences infirmières, en médecine, en économie, en technologies, en valorisation des données numériques et en application des connaissances – vise à mieux outiller les infirmières et infirmiers dans leur rôle auprès des enfants atteints de cancer et de leurs familles. «L’infirmière, souligne la professeure Roch, est une personne-ressource essentielle pour les familles puisqu’elle joue le rôle de chaînon entre elles et les professionnels de la santé.»
La visée de ce projet est d’offrir de la formation continue, sous forme de jeu vidéo, aux infirmières et infirmiers en oncologie pédiatrique afin de diminuer les événements indésirables et les complications et d’optimiser l’expérience patient. Pour ce faire, la contribution de familles partenaires est essentielle.
«Nous sélectionnons actuellement les familles qui participeront au projet. Elles auront un rôle-clé pour déterminer, avec des cliniciens et des gestionnaires, les indicateurs de qualité. Parfois, ces indicateurs sont les mêmes que ceux des spécialistes, mais parfois ils sont tout différents, au grand étonnement de ces derniers. Peut-être verra-t-on l’émergence d’indicateurs inédits, auxquels nous n’avions pas pensé. C’est d’ailleurs ce qu’on cherche: être à l’avant-garde dans l’usage des données. Les indicateurs prioritaires des familles permettront de concevoir notre jeu et d’en évaluer la qualité, la pertinence et les retombées. C’est vraiment un projet centré sur l’expérience famille», explique Geneviève Roch.
À la fois un jeu et une formation de pointe
Le jeu sera composé de plusieurs missions. Chacune d’elles sera consacrée à la consolidation d’une expertise précise. «Le financement majeur de la Fondation Charles-Bruneau permettra de travailler avec des concepteurs de jeu vidéo et de développer une application très intéressante sur le plan numérique», indique-t-elle. Éventuellement, de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée pourraient même être intégrées au jeu.
Toutefois, bien que la formation soit présentée sous forme de jeu, celle-ci ne doit pas être prise à la légère. Il s’agit d’une expérience d’apprentissage non traditionnelle, basée sur l’interactivité, qui approfondira des questions fort complexes.
«Les formations et les certifications en sciences infirmières sur les pratiques pédiatriques en oncologie ne sont offertes qu’aux États-Unis et en anglais. Notre but est de produire la première formation de pointe en français dans le domaine. Cette formation pourra ensuite être exportée dans toute la francophonie, où les meilleures pratiques pourront être appliquées pour le bien des enfants et de leurs familles. Ça sera un beau legs!», soutient la professeure Roch.
Des infirmières et infirmiers épanouis
Si mieux soutenir les enfants malades et leurs familles est bien au cœur du projet, il n’en demeure pas moins que Geneviève Roch voit également le MP OncoPed-Familles comme un outil pour aider à l’accomplissement professionnel du personnel infirmier.
«Un des buts du projet est également la satisfaction, l’attraction, la rétention et le mieux-être des effectifs. Si le personnel infirmier se sent compétent, il est plus motivé. Avec ce projet, je veux que les infirmières et infirmiers accomplissent ce pour quoi ils sont formés et s’épanouissent professionnellement», conclut Geneviève Roch.
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