Être créatif ne se limite pas au monde des arts. Pour François Bernard Malo, professeur au Département des relations industrielles de l'Université Laval, «la créativité est avant tout une capacité intellectuelle à voir le monde autrement et à proposer, face à un problème complexe, beaucoup d'options à la fois originales et utiles».
C'est la voie à suivre, surtout dans la période trouble qui est la nôtre, estime le professeur Malo, aussi directeur des programmes de la formation continue de son département. «On assiste à l’effondrement d’un monde et à la naissance d’un autre. Pour les entreprises, il y a davantage de compétition. Le vieillissement de la population entraîne beaucoup de pénurie de main-d’œuvre et des défis incroyables en matière de ressources humaines.» Si les employeurs avaient jadis le gros bout du bâton, la tendance est aujourd’hui inversée. À un point tel que certains employés appellent à la dernière minute pour signaler une absence ou donnent un service minimum sous prétexte qu’ils sont surchargés.
Un outil pratique
Le professeur Malo publiera sous peu un livre intitulé La créativité et la résolution des problèmes humains complexes en contexte organisationnel. Cet outil pratique est d'abord destiné aux étudiants universitaires du 1er et du 2e cycle, mais l'auteur cherche aussi à joindre les 10 000 membres de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA) du Québec.
Quand un problème traîne depuis des années, les organisations en arrivent à dire qu'il faut faire preuve de créativité. Mais elles ne savent pas comment, remarque le professeur, qui a aussi sa propre entreprise de consultation depuis 1995. Le livre met de l'avant la méthode IcareRH, conçue par sa firme, qui permet de faire face aux défis de façon structurée, en 10 étapes détaillées.
Un travail d'équipe
Au fil des pages, la notion de collaboration est partout. On s'assoit à plusieurs, on réfléchit à plusieurs, on rebondit sur les idées des autres. «Quand on parle de créativité, les recherches démontrent qu'un seul individu ne pourra jamais tout comprendre. Puis s'il ne comprend pas bien le problème, il ne pourra pas non plus le résoudre.» Pourtant, poursuit François Bernard Malo, il y a beaucoup de travail à faire dans les organisations pour expliquer aux gens en position de pouvoir qu'en dépit de leurs diplômes et de leur expérience, ils doivent apprendre à travailler avec les autres.
Dès la première étape, on invite autour de la table toutes les parties concernées. L'originalité de cette méthode est son aspect démocratique. «Si on veut résoudre un problème complexe, il faut avoir des compréhensions partagées du monde, mais aussi arriver à des solutions coconstruites avec tout le monde.» Au-delà de la consultation et de la concertation, on aspire à la coconstruction, qui est au cœur de l'ouvrage.
Cent idées originales et utiles
Les gens ont tendance à penser qu'il existe une seule bonne solution et tentent de la trouver. François Bernard Malo incite plutôt à faire le plein d'idées en équipe. «Les recherches suggèrent d'en trouver au moins une centaine, parce que c'est à partir de ce nombre qu'on commence à voir apparaître des choses originales et utiles. Très rarement les gens vont être capables d'arriver à des solutions au bout de quelques minutes. La plupart du temps, le brainstorming classique sert surtout à évacuer tout ce que l'on sait déjà.»
La méthode fournit des règles et des outils pour bien diverger, soit être créatif, et pour bien converger, soit trier les idées, les organiser et retenir les meilleures. Ultimement, elle prévoit que tout le monde participe au processus jusqu’à la redistribution des fruits, que ce soit symboliquement, comme un gros party d'équipe, ou de façon plus tangible, comme un partage des profits. C'est ce qui va garantir la participation des gens dans l'avenir, souligne le professeur Malo, ayant en tête des organisations où, au contraire, les gestionnaires s'approprient le mérite. «Les gens ne sont pas dupes. Quand on les utilise sans retour, il y a un désengagement et ils deviennent cyniques.»
La méthode est un peu utopique et a ses limites, convient le professeur praticien. Mais quand il retourne dans les organisations qu'il a épaulées, on lui répète la même chose: «On ne voit plus le monde de la même façon, on ne travaille plus de la même manière.»
De décrocheur à chercheur
François Bernard Malo n'hésite pas à plonger dans son histoire personnelle pour expliquer pourquoi il est devenu un spécialiste en relations industrielles. «Je suis un ancien décrocheur», dévoile celui qui a abandonné ses études en réalisant qu'un problème de la vue allait bousiller son rêve de devenir pilote ou policier, comme son père.
Pendant quelques années, il a fait mille et une besognes, «chaque fois sans aucune reconnaissance et avec un paquet de problèmes liés à la santé et à la sécurité». Après trois ans de ce régime, il a compris que sans diplôme, c'est ce à quoi il aurait à faire face. «De bons patrons, ça existe. Mais dans l'univers où j'ai évolué à cette époque-là, à Montréal, il y en avait aussi de très mauvais. J'ai décidé de retourner aux études pour montrer à tous ces très mauvais patrons comment on gère une entreprise dans le sens du monde!»
La hargne au cœur et la fougue au ventre, il a repris l'école et fini son secondaire premier de classe. Après des études collégiales en sciences humaines, il a brillé au baccalauréat en relations industrielles à l'Université Laval. Encouragé par ses mentors, les professeurs Paul-André Lapointe et Gregor Murray, il a obtenu des bourses pour poursuivre à la maîtrise et ensuite faire un doctorat à l'Université de Toulouse 1, en France.
Si les relations industrielles offrent une vision macroscopique du monde du travail, un poste à l'Université du Québec à Chicoutimi au Département de management lui a donné un point de vue plus microscopique: ce qui se passe dans les organisations, dans une équipe et dans la tête des gens qui cherchent à innover. «C'est là que j'ai commencé à m'intéresser à la créativité», qui mène à l'innovation, explique le professeur Malo. Il enseigne ces notions depuis son entrée en poste à l'Université Laval en 2004.
Cinq ans plus tard, il a parfait ses connaissances sur le sujet en faisant une maîtrise à l'Université d'État de New York à Buffalo. Il mijote son livre sur la créativité depuis. Il l'a coécrit avec sa fille, Jeanne Malo, qui aura bientôt 18 ans. «Elle m'a aidé à clarifier mes propos, à les rendre plus accessibles. Elle s'intéresse aussi beaucoup à l'humain, elle débute une technique en travail social.»
Conscientiser les étudiants
En classe, François Bernard Malo dit être un professeur exigeant. «Je veux qu'ils comprennent que le monde est complexe. On est dans un domaine où ce n'est jamais tout noir ou tout blanc. Ils doivent travailler très fort, parce qu'un jour, ils vont avoir une influence sur la vie concrète et réelle d'un paquet de gens.»
Il pousse ses étudiants à développer leur indépendance, leur professionnalisme, à construire leur crédibilité puis, éventuellement, leur autonomie professionnelle. Ce qu'il redoute, s'ils ne comprennent pas les choses en profondeur, est qu'ils se fassent utiliser sans même en être conscients par certaines organisations pour mieux exploiter la main-d'œuvre. «J'ai été victime de ça à une certaine époque. Ça teinte mes enseignements aujourd'hui.» En 2017, le professeur Malo a remporté un Prix d'excellence en enseignement, remis par la Faculté des sciences sociales.
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