12 mai 2022
Michel Gervais: un leader humain et rassembleur nous a quittés
Cet érudit, qui a démontré qu'il était possible de faire de l'administration avec classe et panache, sans renoncer à la réflexion de fond, a ouvert l'Université Laval sur la société et sur le monde

«L'Université Laval, pour moi, c'est d'abord et avant tout une communauté de personnes [...] qui sont venues chercher ici leur achèvement personnel et la réalisation de leurs aspirations. C'est seulement en misant sur ce capital humain, sur l'idéal de ces personnes, sur leur enthousiasme et sur leur goût du travail bien fait que l'Université pourra continuer de progresser vers l'excellence.»
Ces mots, tirés d'un discours prononcé par Michel Gervais après son accession au poste de recteur de l'Université Laval en 1987, résument la vision de cet érudit qui plaçait l'humain au cœur de ses réflexions et de ses actions. Michel Gervais, seul recteur élu de l'Université Laval issu des humanités, nous a quittés le 8 mai, à l'âge de 77 ans.
Titulaire d'un diplôme en théologie et en philosophie de l'Université Laval, et détenteur d'un doctorat en théologie de l'Université pontificale Saint-Thomas-d'Aquin de Rome, Michel Gervais a entrepris sa carrière de professeur à l'Université Laval en 1968.
Son engagement dans l'administration universitaire commence en 1977, quelques mois après une grève des professeurs qui avait plongé le campus dans un climat de morosité et de division. Le recteur nouvellement élu, Jean-Guy Paquet, nomme alors Michel Gervais au sein de la Commission d'étude sur l'avenir de l'Université Laval, dirigée par le politicologue Léon Dion. Cette commission est chargée de la délicate mission d'unifier la communauté universitaire et de la rassembler autour d'une vision commune.
«Dès la première rencontre que j'ai eue avec Michel, j'ai constaté que j'avais affaire à un homme d'une intelligence supérieure, doté d'une capacité exceptionnelle d'analyse et de synthèse», se souvient Jean-Guy Paquet. Lorsque la commission dépose son rapport en 1979, c'est vers Michel Gervais que le recteur se tourne pour diriger le Projet Laval, le groupe de travail qui doit assurer la mise en application des recommandations. Son efficacité est telle que trois ans plus tard, il est nommé vice-recteur à la recherche et à l'enseignement.
«Michel était pondéré et posé, il avait une grande écoute et il était beaucoup plus patient que moi, souligne Jean-Guy Paquet. Il a su rassembler les gens qui avaient des vues divergentes autour d'objectifs communs. Il avait l'estime et la considération de tous. C'était un grand monsieur.»
— Jean-Guy Paquet
En 1987, Michel Gervais est élu recteur. Il entreprend alors de concrétiser l'une des principales recommandations du rapport Dion: la réforme des instances décisionnelles de l'Université Laval. «Jusque-là, le Conseil universitaire prenait toutes les décisions, rappelle le vice-recteur aux études de l'époque, Jean-Claude Méthot. Michel Gervais sentait que le moment était venu d'ouvrir l'Université Laval sur la société.»
La réforme proposait de créer un conseil d'administration chargé de toutes les décisions qui ne touchaient pas directement l'enseignement et la recherche. Ce conseil d'administration serait composé en bonne partie de représentants externes. «L'idée de perdre une partie des pouvoirs décisionnels ne plaisait pas à tout le monde au sein du Conseil universitaire», poursuit Jean-Claude Méthot.
À preuve, il a fallu quatre ans de travail pour faire adopter cette réforme. «Michel Gervais était très persévérant et très résilient, constate-t-il. Il le faut pour mener une carrière de 15 ans à la direction de l'Université. Il avait une grande intelligence, doublée d'un très bon jugement. Il a été très habile en procédant par étape. Il a d'abord fait adopter le principe de la création d'un conseil d'administration. Les détails sont venus plus tard, au moment où il était impossible de reculer.»
Les autres priorités du premier mandat de Michel Gervais font une large place à l'humain. Le premier point de son programme en fait foi: les étudiants sont la raison d'être de l'Université. Il intensifie les efforts de l'Université Laval vers l'internationalisation de la formation et il se préoccupe de la cause des femmes. Il nomme d'ailleurs une femme, Élise Paré-Tousignant, à la tête d'un vice-rectorat, une première à l'Université Laval. C'est aussi sous sa gouverne que sont créés, en 1990, le Centre de prévention et de traitement des plaintes de harcèlement sexuel et le programme d'accès à l'égalité pour les femmes professeures.
— Jean-Claude Méthot
Les 10 années que Michel Gervais a passées à la tête de l'Université Laval ont été plombées par des coupes récurrentes dans les subventions gouvernementales, coupes qui se répercutaient sur le budget des facultés. Malgré tout, il a trouvé moyen de conserver de bons rapports avec les doyens, se rappelle Claude Godbout, qui dirigeait alors la Faculté de foresterie et de géomatique.
«Il rencontrait chaque doyen en tête-à-tête une fois par année. C'était une conversation amicale qui durait au moins deux heures et au cours de laquelle on discutait de l'évolution de l'Université et des moyens de s'aider mutuellement. Il nous donnait toujours l'heure juste, il présentait les choses telles qu'elles étaient, avec intégrité, clarté et respect. Il était près des gens et il ne prenait personne de haut.»
— Claude Godbout
Dans les trois années qui ont suivi la fin de son deuxième mandat comme recteur, Michel Gervais occupe différentes fonctions avant de devenir, en 2000, directeur général de l'hôpital Robert-Giffard. Yves De Koninck faisait alors ses débuts comme professeur à la Faculté de médecine de l'Université Laval. «C'est par conviction personnelle que Michel Gervais avait accepté ce poste, se souvient-il. La santé mentale était une cause qui lui tenait véritablement à cœur, sans doute parce que l'un de ses proches avait souffert d'un problème de santé mentale.»
En raison de son expérience comme vice-recteur et comme recteur, Michel Gervais comprenait bien les enjeux de la recherche, poursuit-il. «Il a été un ambassadeur extraordinaire pour le développement de la recherche en santé mentale et pour la reconnaissance de l'hôpital à titre d'institut universitaire. Sa stature intellectuelle, sa prestance et son éloquence ont été utiles pour rallier tout le monde derrière cette démarche. Nous avons eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur un intellectuel aussi articulé comme directeur.»
— Yves De Koninck
L'œuvre de Michel Gervais a eu des répercussions importantes sur les organisations qu'il a dirigées, mais elle a aussi eu des retombées sur les personnes qui l'ont côtoyé. L'une de ces personnes est Alain Faucher, aujourd'hui professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses.
«J'étais étudiant en théologie lorsque j'ai rencontré Michel Gervais au début des années 1970. À cette époque, il rentrait de Rome, où il avait obtenu son doctorat. Je n'en ai jamais parlé avec lui, mais il a été un modèle pour moi tout au long de ma carrière. Il m'a montré qu'il était possible pour un Québécois d'aller faire des études supérieures à l'étranger, ce que j'ai fait, à Rome moi aussi, plusieurs années plus tard. Quand je suis devenu professeur, il a souvent eu de bons mots pour m'encourager.»
— Alain Faucher, au sujet du travail d'administrateur universitaire
Le professeur Faucher a lui aussi occupé des fonctions administratives au cours de sa carrière. «Si j'ai accepté, c'est parce que Michel Gervais m'avait démontré qu'il pouvait y avoir de la beauté dans ce genre de carrière, qu'on pouvait faire de l'administration avec classe et panache, sans renoncer à la réflexion de fond. C'était, à la fois, un homme très humble et un grand homme.»