Uqumuujuq et Tumi. Ces deux mots de la langue inuite signifient respectivement «qui voyage avec le vent» et «traces de pas dans la toundra». Ils désignent deux projets réalisés par deux équipes d’étudiantes à la maîtrise professionnelle en architecture de l’Université Laval dans le cadre du concours annuel de l’American Institute of Architects Committee on the Environment (AIA COTE). Le vendredi 22 avril, Jour de la Terre, les noms des 10 projets considérés comme les meilleurs parmi les propositions soumises ont été rendus publics à Washington. Uqumuujuq et Tumi faisaient partie de ce groupe privilégié.
Le concours est ouvert aux étudiants des États-Unis, du Canada et du Mexique. Il est organisé en partenariat avec l’Association of Collegiate Schools of Architecture. Cette compétition récompense les projets qui exploitent le concept de carboneutralité. Ce concept repose sur l’intégration créative et innovante de stratégies de design telles que l’éclairage naturel, le chauffage et le refroidissement passifs, les matériaux écologiques, la gestion de l’eau et la gestion durable de l’énergie. Cette année, plus de 600 participants représentant 45 établissements universitaires ont soumis des projets.
«Avec une équipe de qualité, nous avons construit un bon programme qui semble générer des résultats intéressants», soutient Claude Demers, professeure à l’École d’architecture de l’Université Laval et coresponsable, avec son collègue André Potvin, de l’atelier Ambiances physiques où les projets ont été réalisés à la session d’hiver 2021.
Fait à mentionner: les étudiants de l’Université Laval se distinguent à ce concours depuis 2019. Au total, pas moins de sept projets de l’École d’architecture ont été primés depuis ce temps. L’encadrement pédagogique interdisciplinaire offert explique en bonne partie les succès obtenus. Dans leur tâche, les professeurs Demers et Potvin sont secondés par des professeurs de génie civil et de génie mécanique, par un doctorant en acoustique et par deux professeurs en phytologie. Un architecte invité, qui réalise des projets de bâtiments dans le Grand Nord, fait également partie de l’équipe.
Selon la professeure, rares sont les écoles d’architecture où l’on enseigne dans un même atelier les aspects sensibles de l’expérience spatiale liés aux considérations énergétiques. «Le professeur Potvin et moi-même, dit-elle, avons élaboré une méthode de design qui intègre à la fois des outils d’analyse environnementale des bâtiments et les notions de bien-être des usagers relativement aux ambiances physiques, telles que la lumière, la thermique et l’acoustique.»
Entre Yellowknife et Resolute Bay
Le hameau de Cambridge Bay, Ikaluktutiak en langue inuite, est situé au Nunavut, le territoire le plus nordique du Canada, à mi-chemin entre Yellowknife et Resolute Bay. La communauté comprend environ 1700 âmes. À l’hiver 2020, les deux projets étudiants qui furent par la suite primés au concours de l’AIA COTE y ont été réalisés dans le cadre d'une initiative Sentinelle Nord, une importante stratégie de recherche de l'Université Laval. Leur point de départ: les besoins des partenaires inuits en matière de nouvelles constructions. Un an plus tard, et toujours grâce à Sentinelle Nord, les professeurs Demers et Potvin et leurs étudiantes sont retournés à cet endroit, en mode virtuel cependant, pandémie oblige.
«Ce qui nous a aidés pour cette deuxième collaboration avec l’équipe d’Ikaluktutiak est le fait d’avoir pu bâtir sur l’atelier de 2020, rappelle la professeure. Nous avons fait face en 2021 à des défis de communication différents. Nous avons su adapter notre enseignement pour que l'encadrement fonctionne efficacement en favorisant le dessin sur tablette numérique comme moyen de communication virtuel. Nous avons également eu accès à certains équipements de l’École d’architecture. Quant au travail en mode virtuel, c’était déjà une réalité d'avant la pandémie pour les collaborateurs du Nunavut.»
La version 2020 de l’atelier visait la conception d’un centre sportif et de loisirs écoresponsable inspiré de la riche culture architecturale et de l’ingéniosité constructive de la communauté d’Ikaluktutiak. L’atelier de 2021, quant à lui, visait à recycler une infrastructure en fin de vie, l’aréna local, en une serre moderne.
«Ce fut un choix judicieux, souligne-t-elle, notamment par la réutilisation de conteneurs laissés par les bateaux de transport de marchandises. Cela a minimisé l’utilisation de nouveaux matériaux et réduit d’autant l’empreinte écologique.»
Uqumuujuq et Tumi
Florence Bouchard-Bédard, Daphné Garon-Rioux et Coralee Tremblay ont conçu le projet Uqumuujuq. Visuellement, leur projet s’inspire du vent, lequel occupe une place centrale dans l’environnement arctique. Cette force sculpte le paysage par sa présence continue. Uqumuujuq maintient la vocation de l’aréna comme lieu de rassemblement. L’ajout des étudiantes consiste en une structure inclinée. Par la répétition de ses éléments, cette structure crée une courbe, laquelle suit la trajectoire du soleil afin de profiter au maximum de sa lumière et de sa chaleur, tout en créant des zones à l’abri du vent. À l’intérieur, le visiteur circule parmi les différentes parties de la production en serre, de la germination au partage d’un repas, de la préparation à la récupération. Le programme alimentaire associé au projet englobe autant les connaissances actuelles que traditionnelles inuites. Il vise la création d’une offre d’aliments frais, sains et diversifiés par une serre, une cuisine, une boucherie et des espaces de partage.
Dans leurs commentaires, les membres du jury ont expliqué que le projet Uqumuujuq est «convaincant par son design élégant et le fort accent mis sur les espaces communautaires, le tout amplifié par de beaux rendus et des analyses réfléchies».
Le projet Tumi a été conçu par Mia-Kim Bouchard, Alice Corrivault-Gascon et Roxane Gagnon. Il couvre une superficie de 5200 mètres carrés au centre de la communauté. Il est basé sur la réutilisation de conteneurs qui se trouvent dans le village. Ceux-ci sont intégrés à la structure métallique existante de l’aréna, que ce soit par addition, superposition, inclusion ou interpénétration pour former une immense serre au couleurs vives qui apporte joie, curiosité et lumière dans un climat très froid. Le projet imaginé par les étudiantes vise à assurer l’indépendance alimentaire des habitants tout en améliorant le bien-être communautaire. Ce pôle d’échange et de transmission de connaissances offre des espaces pour le partage et l’apprentissage de notions relatives à l’alimentation inuite saine, agricole et traditionnelle. Le gros de l’espace est occupé par une énorme serre. On y trouve également une cuisine, une salle à manger, une zone de repos et une boucherie.
Selon les membres du jury, Tumi est un «projet remarquablement convaincant, à la fois fantaisiste et hautement technique, au design séduisant et aux stratégies durables».
«Nous sommes très heureux de la qualité des travaux réalisés, indique Claude Demers. Dans ce climat extrême, entre le soleil de minuit et le jour polaire, la lumière joue un rôle majeur dans la croissance des plantes en serre. Renforcer la structure de l’aréna et déployer des puits de lumière permettent de créer des conditions favorables à cette croissance. Des parois translucides isolantes favorisent le captage de la lumière et la conservation de la chaleur. Les propositions ont été agréablement reçues par la communauté.»