À 12 ans, Alexandre Campeau-Lecours bricolait un système pour pouvoir fermer la lumière de sa chambre sans devoir se lever de son lit. Deux fils partaient de l’interrupteur, passaient par le plafond jusqu’à une poignée à sa portée et hop ! Il contrôlait l’extinction des feux.
À cette époque, il était loin de se douter que son esprit inventif le mènerait à une carrière en génie. « Comme tous les petits gars, j’ai voulu être pompier ou joueur de hockey », se remémore le Montréalais d’origine, devenu professeur à la Faculté des sciences et de génie de l’Université Laval en 2015.
Il n’avait pourtant pas fini d’imaginer des outils qui facilitent la vie. Il est aujourd’hui à la tête du Groupe d’ingénierie de la réadaptation de l’Université Laval, composé d’une douzaine d’étudiants de cycles supérieurs et de professionnels de recherche. Son équipe et lui carburent aux projets concrets qui ont une véritable utilité. « C’est ça qui nous drive ! » lance le directeur de 36 ans, en montrant des supports technologiques pour permettre aux personnes vivant avec la paralysie cérébrale, une lésion de la moelle épinière ou une dystrophie musculaire de manger, d’écrire ou de faire des activités.
Cette spécialité, mettant le génie au service de la santé, il l’a forgée au fil du temps, de sa formation et de ses rencontres.
Un bagage familial
Féru de mathématiques, de jeux vidéo et d’électronique, le jeune Alexandre a été éveillé aux sciences par sa famille. « À la maison, on écoutait l’émission Découverte ensemble. Mon père m’a donné un ordinateur très jeune et des kits électroniques », explique celui qui codait des pages Web en langage HTML à 13 ans, quand il ne faisait pas de planche à neige ou d’arts martiaux.
Plus tard, une visite sur les lieux de travail de son parrain ingénieur mécanique a orienté son choix de carrière à l’université. En troisième année de baccalauréat en génie mécanique à Polytechnique Montréal, c’est le coup de foudre : il découvre la mécatronique, un mélange de mécanique et d’électronique. « Un robot culinaire ou une voiture d’aujourd’hui, c’est de la mécatronique », illustre le professeur Campeau-Lecours, qui donne aujourd’hui un cours d’initiation à cette matière au premier cycle.
C’est à l’Université Laval qu’il s’est spécialisé auprès du professeur Clément Gosselin, directeur du Laboratoire de robotique. En cours de maîtrise, il a fait un passage accéléré au doctorat en génie mécanique. « Mon projet de doctorat était de développer des systèmes d’assistance pour les travailleurs manuels dans les chaînes d’opération du milieu automobile. C’était en collaboration avec General Motors », explique Alexandre Campeau-Lecours.
Une rencontre inspirante
Une fois sur le marché du travail, il a fait une rencontre déterminante. Il était alors gestionnaire de projet en recherche et développement chez Kinova. Cette entreprise, aujourd'hui installée à Boisbriand, conçoit des bras robotisés non seulement pour assister des personnes en situation de handicap, mais aussi des employés dans leur milieu professionnel et dans le monde médical.
À cette époque, il créait des algorithmes et travaillait étroitement avec Sébastien Lepage, un collègue vivant avec une déficience motrice cérébrale. «Un soir, il est parti du bureau à 16het moi, à 17 h. Je venais de recevoir un refus pour un article scientifique, j'étais déçu et je trouvais ça injuste. À mon arrivée au rez-de-chaussée, Sébastien attendait encore son transport adapté qui était en retard. J'étais indigné, mais pour lui, c'était routinier. En me dirigeant vers le métro, je regardais mes pieds et j'ai eu une prise de conscience: j'avais la chance de marcher. Ça m'a aidé à relativiser, ce jour-là, et les suivants.»
Sébastien Lepage, par sa force de caractère, est devenu une source d'inspiration… et a sans doute contribué à orienter les activités scientifiques de son ami vers la santé. «À force de vivre au quotidien avec lui, de voir tous les défis auxquels il faisait face, j'ai réalisé que nous, comme ingénieurs, on peut aider à trouver des solutions», indique Alexandre Campeau-Lecours, dont toute la famille ou presque travaille en santé.
Pour améliorer l'autonomie des gens comme son ami ou vivant avec des troubles aux membres supérieurs, il a conçu un logiciel permettant de contrôler la souris de leur ordinateur avec des mouvements de tête captés par caméra. En 2018, il a reçu le prix coup de cœur du Défi OSEntreprendre pour Assistyv, son entreprise, qui commercialise l'application.
L'adaptation, la prévention, l'intervention
Aujourd'hui, les recherches du professeur Campeau-Lecours se divisent en trois grands domaines. En adaptation, lui et son équipe ont conçu des cuillères d'assistance pour les personnes aux prises avec des troubles de mouvement, des spasmes ou des tremblements quand elles s'alimentent. Ils planchent aussi sur des supports de bras qui aident à l'écriture et sur une orthèse de main permettant aux personnes avec une lésion de la moelle épinière de fermer les doigts sur des objets.
Du côté de la prévention, le Groupe d'ingénierie de la réadaptation a été approché par le CHU de Québec – Université Laval pour élaborer un support de bras pour les techniciens biomédicaux. Ces gens font des manipulations dans les hottes biomédicales et ont tout le temps les bras en élévation, ce qui entraîne de la fatigue musculaire et des blessures à long terme, explique le chercheur.
Pour d'autres travailleurs manuels, comme ceux en entrepôts, le groupe a créé un bracelet capable de détecter les mouvements d'élévation, le temps passé en élévation et la répétition. Le tout est enregistré et le bracelet envoie une alerte pour signaler qu'il est temps de prendre une pause afin d'éviter de surmener les muscles.
L'équipe d'Alexandre Campeau-Lecours travaille également en intervention, aussi appelée réadaptation physique. Les physiothérapeutes aident les gens qui doivent réapprendre à marcher ou à bouger les bras après un accident. Mais à cause du manque de personnel clinique, les heures consacrées à chaque patient sont limitées. Les robots exerciseurs imaginés par le groupe viennent en renfort.
Le chercheur Campeau-Lecours s'est penché sur un important défi en intervention: maintenir la motivation. «Les gens qui se blessent à la cheville et ont des exercices à faire à la maison, ils arrêtent très rapidement. Pour rendre les exercices sur une planche d'équilibre plus motivants, on a ajouté un gadget qui permet à l'utilisateur de jouer à des jeux vidéo en même temps.»
Un travail d'équipe
Toutes ces technologies d'aide ne sont pas sorties d'un chapeau, insiste Alexandre Campeau-Lecours. «On travaille étroitement avec plusieurs équipes de recherche en réadaptation, des gens en physiothérapie, en ergothérapie ou en kinésiologie. On travaille avec le milieu clinique et les utilisateurs.»
Les projets suivent un processus d'itération. À partir d'un problème de départ, les chercheurs élaborent une idée, en font un dessin 3D, le présentent aux usagers, recueillent leurs commentaires, soumettent un prototype, l'améliorent, etc.
«Les gens sont souvent habitués qu'un produit soit développé du côté ingénierie seulement. Mais le résultat final ne répond pas nécessairement aux besoins, parce qu'il n'a pas été testé en vrai. C'est pourquoi on préfère passer toutes les étapes une à une», précise le directeur du Groupe d'ingénierie de la réadaptation, qui fait partie du Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale et du Centre de recherche en robotique, vision et intelligence machine, tous de l'Université Laval.
Quand un jeune atteint de dystrophie musculaire peut manger de manière autonome quotidiennement grâce à une technologie d'aide conçue par l'équipe, «c'est le fun!», lance Alexandre Campeau-Lecours.
Chaque personne en situation de handicap ayant ses particularités, l'étape suivante est de rendre ces outils adaptables à des centaines de milliers de gens. «Il y a encore plein de besoins non comblés auxquels s'attaquer!», s'enflamme le chercheur.
Cette passion contagieuse, il la transmet en donnant des cours au baccalauréat en génie mécanique. Depuis 2016, il reçoit chaque année le titre de professeur étoile, remis aux membres du personnel enseignant de la Faculté des sciences et de génie ayant reçu une appréciation exemplaire de la part de leurs étudiants. Derrière les robots conçus par Alexandre Campeau-Lecours se cachent donc plusieurs qualités humaines.