Gilles Ayotte est depuis longtemps une figure familière au Département de phytologie de l’Université Laval. Dès les années 1970, ce responsable de travaux pratiques et de recherche consacrait ses temps libres à photographier l’étonnante diversité des espèces végétales du territoire québécois. Avec le temps, sa passion a pris la forme d’une imposante collection forte de quelque 45 000 photographies. Ces images présentent les aspects anatomiques et morphologiques d’un très grand nombre de plantes, incluant des arbres et des arbustes. Ces photos servent à l’enseignement de l’anatomie et de la morphologie végétale. Elles ont aussi servi à illustrer des publications sur la botanique.
«Je me décris comme botaniste autodidacte et je me considère comme un photographe amateur, explique-t-il. J’ai toujours fait ça pour le plaisir. La plante est là, je la prends sous toutes les coutures.»
En 2020, Gilles Ayotte a fait don de sa collection à la plateforme de contenus numériques de la Bibliothèque de l’Université Laval, Kalos. Aujourd’hui, le mercredi 2 mars, la Bibliothèque annonce la mise en ligne officielle d’un corpus de plus de 19 000 photos sous licence Creative Commons, représentant plus de 800 espèces végétales. Il s’agit là de la plus importante collection en accès libre sur la plateforme. Ces images de qualité ont une bonne résolution qui permet les gros plans détaillés. Le travail de numérisation et de mise en ligne se poursuivant, la collection, à terme, devrait atteindre 25 000 images.
Cette collection a un caractère fondamentalement taxonomique, son objectif principal étant l’identification des espèces, incluant certains aspects de l’écologie et de l’habitat. Le cœur de la collection est constitué de photos d’angiospermes. On y trouve aussi des ptéridophytes et des gymnospermes, de même que des espèces cultivées, nuisibles et envahissantes. Quant aux photographies à venir, elles seront composées majoritairement de bryophytes.
La passion d’une vie
Au début des années 1970, Gilles Ayotte était inscrit en Techniques des sciences naturelles au Cégep de Sainte-Foy. «Je suis tombé en amour avec la botanique à cette époque, raconte-t-il. J’étais épaté par les connaissances du professeur. Un jour, il nous a demandé d’aller à l’extérieur du cégep pour cueillir des plantes. De retour en classe, il sortait le nom latin des différentes plantes, l’une après l’autre.»
C’est à l’été 1971 qu’il a commencé à faire des photos de plantes. Il avait été engagé comme étudiant pour faire l’inventaire floristique des milieux ouverts à la réserve nationale de faune du cap Tourmente. «Le gouvernement fédéral, dit-il, venait d’acheter ce territoire et voulait connaître tout ce qui s’y trouvait: oiseaux, insectes, plantes forestières et autres.» De 1972 à 1975, il a travaillé pour le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche à titre de technicien de la faune. Il participait à des inventaires floristiques de tout ce que le cerf de Virginie, l’orignal et le lièvre pouvaient brouter, été comme hiver. À son entrée à l’Université Laval comme technicien, en 1975, une partie de ses tâches consistait à passer l’été à récolter des plantes pour les cours Botanique générale, Taxonomie des plantes du Québec et Plantes nuisibles.
Dans toutes ces expériences, souligne-t-il, je traînais mon appareil photo partout sur le terrain et je faisais des photos de toutes les plantes. Chaque fois, c’était de mon propre chef. Ça ne faisait pas partie de mes tâches. Même chose durant mes vacances, mes parties de pêche ou de chasse. Durant mes vacances, j’allais visiter les réserves écologiques disséminées un peu partout au Québec pour y faire des photos de plantes. Il n’y avait pas de but précis. Simplement pour le plaisir.»
Des photos dans quatre ouvrages
À ce jour, les photographies de la collection de Gilles Ayotte ont paru dans quatre ouvrages. Ce sont Plantes rares du Québec méridional et 50 plantes envahissantes. Protéger la nature et l’agriculture, deux livres parus aux Publications du Québec. Il y aussi Les sphaignes de l’Est du Canada et Shagnum Mosses of Eastern Canada, deux ouvrages publiés aux Éditions JFD. Gilles Ayotte a coécrit Les sphaignes de l’Est du Canada avec la professeure Line Rochefort, du Département de phytologie.
«Que l’on parle d’histoire naturelle, de flore ou de faune du Québec, Gilles est un passionné invétéré, explique-t-elle. Avec ses nombreuses anecdotes et connaissances terrain au sujet des plantes d’ici, il sait retenir l’attention des étudiants et les éveiller, je dirais émerveiller, à la biodiversité du Québec. De nombreuses cohortes d’étudiants vont se rappeler longtemps de ses enseignements accompagnés de ses excellentes photos. Oui, il y a les iris et les pruches de ce monde, mais Gilles a développé toute une panoplie de techniques à photographier les structures microscopiques de mousses, des plantes invasculaires, pour aider à bâtir un guide d’identification des sphaignes par clé dichotomique illustrée unique au monde. Ce guide sera utile à tous les étudiants bryologues de l’Amérique du Nord. La grande contribution de Gilles aura été de faire connaître le monde végétal du plus grand au tout petit.»
Le projet de numérisation de la collection de Gilles Ayotte a été rendu possible grâce à une subvention du Fonds d’investissement étudiant de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation. Le montant accordé a permis l’engagement de plus de 20 étudiantes et étudiants inscrits à des cours de la faculté pour écrire les descriptifs des photos, lesquels permettent l’autoformation de l’utilisateur. En plus des photos de plantes par espèce (noms latin, français, anglais), le moteur de recherche permet de naviguer par termes plus précis: fleur, feuille, fruit, coupe longitudinale, coupe transversale, racine, tronc, stipule et autres. Le corpus comprend notamment 3792 photos de fleurs, 2108 photos de feuilles et 1662 photos de fruits.
L’étudiante Kristina LeBreux, inscrite au baccalauréat en agronomie, a travaillé comme coordonnatrice des étudiants pour le travail de description des photographies.
«Les vues rapprochées, indique-t-elle, nous permettent de mieux comprendre chaque structure et surtout, d’avoir un éventail de type de gynécée/androcée, infrutescence, inflorescence et autres. Ce que l’on trouve sur Google généralement n’est pas le gynécée d’un genre espèce particulier, mais plutôt des schémas généraux, en plus de ne pas être 100% certain que ce soit la bonne espèce identifiée. Moi, ça m’a beaucoup aidée de pouvoir bien distinguer les structures uniques à chaque famille pendant le cours Taxonomie des plantes du Québec. Ça m’a même aidée à identifier des espèces que j’avais déjà photographiées ou récoltées! Je crois que même pour les profs qui veulent bien expliquer une structure particulière, Kalos sera un outil indispensable.»
Les photographies du projet Kalos présentent entre autres des spécimens trouvés à l’Université Laval. Ces témoins de l’histoire de l’aménagement végétal du campus, Gilles Ayotte les connaît bien. «Tous les jours je me rends à pied à l’Université en traversant le boisé situé derrière le pavillon Louis-Jacques-Casault, souligne-t-il. J’ai toujours mon appareil photo avec moi. J’observe les plantes, je les photographie et je les vois évoluer d’une année à l’autre. Je ne m’en lasse pas. La flore du campus, c’est quelque chose. Elle est constituée d’environ 3000 espèces.»
À la Bibliothèque, le projet Kalos est réalisé en étroite collaboration avec les professionnels Ève Richard, Joë Bouchard et Simon Pierre Barrette.
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