Le Guide alimentaire canadien 2019 recommande de remplacer les produits laitiers riches en matières grasses par leur équivalent faible en gras. L'objectif de cette mesure: réduire l'apport en gras saturé dans notre alimentation. Que se passerait-il si tous les Canadiens mettaient cette recommandation en pratique? Il y aurait, somme toute, peu d'effet à l'échelle populationnelle, démontre une étude publiée dans l'American Journal of Clinical Nutrition par une équipe de l'Université Laval.
Les chercheurs arrivent à ce constat grâce à une modélisation réalisée à partir de données provenant de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2015. Cette enquête comprend un volet nutrition qui documente les habitudes alimentaires de quelque 20 000 personnes.
Les chercheurs ont évalué comment l'apport en gras saturé serait affecté par la substitution du lait à 2% de matières grasses ou plus, du yogourt à 2% de matières grasses ou plus et du fromage à plus de 25% de matières grasses par leur équivalent à faible teneur en gras. Résultat? Le pourcentage de calories consommées sous forme de gras saturés passerait de 10,8% à 10% dans la population canadienne. «C'est mieux que rien, mais ce n'est pas beaucoup», commente le responsable de l'étude, Benoît Lamarche, professeur à l'École de nutrition.
L'Organisation mondiale de la santé estime que les gras saturés ne devraient pas dépasser 10% des calories ingérées quotidiennement. Présentement, 35% des Canadiens respectent ce seuil. Si tous les produits laitiers riches en matières grasses étaient remplacés par des produits laitiers maigres, ce pourcentage grimperait à 52%.
«À l'échelle populationnelle, l'effet commence à être intéressant, mais environ une personne sur deux se retrouverait encore au-dessus de la barre du 10%, souligne le professeur Lamarche. De plus, il s'agit d'un maximum théorique qui a peu de chance d'être atteint. Environ 83% des gens consomment des produits laitiers contenant des matières grasses. Il serait difficile de tous les convaincre de toujours consommer des produits laitiers maigres.»
La lutte aux gras saturés ferait-elle fausse route en ciblant les produits laitiers? «C'est une question que plusieurs chercheurs se posent», répond Benoît Lamarche. La recommandation du Guide alimentaire canadien s'appuie sur le fait que les produits laitiers comptent parmi les sources importantes de gras saturés dans notre alimentation (23%), mais ils viennent au troisième rang après les collations et les desserts préparés (44%) et après les viandes et leurs substituts (25%).
«En plus, le lien entre les gras saturés des produits laitiers et le risque de maladie cardiovasculaire ou de diabète de type 2 ne fait pas consensus. Si on veut réduire la consommation de gras saturés au Canada, je crois qu'il y a des cibles autres que les produits laitiers qui pourraient produire plus d'effets», avance le chercheur.
Ce point de vue ne repose pas sur de simples spéculations. En effet, dans une autre étude publiée par l'American Journal of Clinical Nutrition, le professeur Lamarche et ses collaborateurs ont testé une autre recommandation du Guide alimentaire canadien: le remplacement d'aliments riches en gras saturés par des aliments riches en gras insaturés. Si elle était mise en pratique par toute la population canadienne, cette substitution aurait un effet spectaculaire puisque 100% de la population se retrouverait alors sous la barre du 10% des calories sous forme de gras saturés.
Que faut-il conclure de tout ça? «Il faut encourager la population à adopter des patrons alimentaires sains, sans faire de fixation sur les gras saturés, parce que, de toute façon, une bonne alimentation en contient peu, explique le professeur Lamarche. Par contre, l'industrie devrait envisager la substitution des gras saturés par des gras insaturés dans la formulation de ses produits. Ce serait là une mesure très efficace pour réduire la consommation de gras saturés dans la population canadienne.»
L'étude sur les gras saturés des produits laitiers a été réalisée par Stéphanie Harrisson, Didier Brassard, Simone Lemieux et Benoît Lamarche, du Centre nutrition, santé et société et de l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l'Université Laval, et par Didier Garriguet, de Statistique Canada. La seconde étude est signée par Stéphanie Harrisson, Simone Lemieux et Benoît Lamarche.