Il y a de ces professeurs qui marquent le parcours universitaire de leurs étudiants. Isabelle F.-Dufour, professeure titulaire de psychoéducation, à la Faculté des sciences de l’éducation, est certes parmi ces étoiles qui ne cessent d’inspirer leurs étudiants par leur passion, leur détermination, leur intelligence et leurs projets novateurs.
Le projet «Avatars», qui a pris racine en 2017, est l’un de ceux-là.
«Le principal problème qui se pose lorsqu’on donne le cours Intervention en santé mentale, du baccalauréat en psychoéducation, c’est de ne pas pouvoir permettre aux étudiants d’intervenir de façon concrète auprès de personnes qui ont des troubles de santé mentale, explique la professeure Dufour. Bien qu’ils aient de beaux apprentissages théoriques, on ne peut évidemment pas permettre à nos étudiants apprentis d’intervenir avec ce type de clientèle, composée de personnes qui se retrouvent à un moment de leur vie où elles sont vulnérables.»
Afin de rendre les mises en situation présentées aux étudiants les plus concrètes possible, des vignettes cliniques, en version papier, ont d’abord été réalisées. La formule, très simple, était de présenter les informations sur l’usager fictif, de faire une mise en contexte de la problématique, puis de demander à l’étudiant de poser un diagnostic. Le tout, par écrit.
Cette approche pédagogique est utilisée pendant 3 ans, mais la professeure réalise qu’il manque quelque chose…
«La vie des gens ne se résume pas à un papier: leur vie se complexifie, ils changent d’idée, ils évoluent, etc., dit-elle. Je voulais avoir un outil qui représenterait le plus fidèlement possible ces changements-là, qui surviennent dans la vie des gens qu’on accompagne. Ce qu’il manquait à notre approche, c’était la vraie vie quoi!»
Afin de représenter le plus fidèlement possible la réalité, l’équipe d’Isabelle Dufour a alors eu l’idée, en 2017, de créer à l’ordinateur, avec l’aide des collègues du Service de soutien à l’enseignement (SSE) et du Centre de services et de ressources en technopédagogie (CSRT), des vignettes animées, etc.
Le projet connaît un véritable succès, à un point tel qu’il «fait jaser» sur le campus. D’autres facultés et départements y voient des avenues possibles fort intéressantes pour leurs propres domaines d’enseignement.
La professeure Dufour se voit même décerner pour ce projet, en juin 2020, le Prix de la ministre en enseignement supérieur dans la catégorie Innovation numérique au 1er cycle (universitaire). Ce prix vise notamment à souligner l’inventivité et l’engagement du personnel enseignant des collèges et des universités qui innovent et mettent en œuvre des stratégies d’enseignement toujours plus efficaces.
Et pourquoi pas en 3D?
La personnalité créative et innovante de la professeure Dufour ne s’arrête pas là. Au cours d'une discussion avec Robert Beauregard, vice-recteur exécutif et vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes, elle apprend que l’École de design – plus précisément le baccalauréat en art et science de l’animation (BASA) – serait probablement intéressée à créer une version 3D des personnages de son cours.
C’est alors que Daniel Lavoie et Mario Bergeron, respectivement chargé de cours et chargé d’enseignement au BASA, entrent en scène.
«On a accepté avec grand plaisir ce projet, qui allait finalement durer 2 ans. On a commencé à animer 2 personnages, pour finalement en animer 8! Nous avons mis en place un concept très modulaire, qui donnait la latitude à la professeure Dufour de faire passer les personnages d’une émotion à une autre, de la colère à la tristesse par exemple.»
Bref, 8 personnages animés – Anthony, Charlène, Janette, John, Maryse, Maxime, Ben et Mélanie – exprimant de façon nettement plus réelle diverses émotions, étaient nés!
Les personnages – créés à la base par une diplômée du BASA, Marie-Dominique Woh – allaient donc «prendre vie» grâce à une quarantaine d’étudiants animateurs du BASA. En effet, ceux-ci, dans le cadre du cours Studio I offert par Daniel Lavoie et Mario Bergeron, allaient non seulement créer leurs propres animations, mais aussi… toute une gamme d’émotions!
Chaque étudiant se voyait attribuer un personnage et un trouble de santé mentale spécifique: bipolarité, trouble de la personnalité limite, orthorexie, dépendance, trouble d’anxiété généralisée, schizophrénie, trouble de la personnalité dépendante ou trouble de la personnalité antisociale. Au total, c’est pas moins d’une quarantaine d’étudiants du cours Studio I du BASA qui ont participé au projet et produit… près de 450 animations!
«Un des aspects très intéressants pour nous, en animation, ce sont justement les émotions, souligne le chargé de cours Daniel Lavoie. Comment les transcrire, les refléter à partir d’un personnage qui est sans vie? À l’aide de la professeure Dufour, on a donc fait une grille dans laquelle on retrouvait les émotions qui étaient attribuées à chaque personnage, et ce, selon la mise en situation et le trouble de santé mentale. Par exemple, celle-ci pouvait nous dire: "À tel personnage, on va mettre les caractéristiques et émotions suivantes: charmeur, dégoût, colère."»
Rosanne est étudiante au BASA et rêve de faire, un jour, des films d’animation. Celle-ci a participé à la conception des fameux avatars. «C’était vraiment un projet concret et enrichissant. Nous étions attitrés à un avatar "de base", puis nous devions lui transposer des émotions. Moi, par exemple, j’avais le personnage de John, qui souffre de schizophrénie. Avant de concevoir, il fallait donc faire de petites recherches sur le Web afin de mieux cerner les émotions que nous devions animer, dépendamment de la maladie mentale dont souffrait notre personnage. De plus, nous étions jumelés avec un étudiant qui avait à travailler sur le même personnage, ce qui nous permettait de nous consulter et de nous épauler tout au long de ce processus qui se faisait, en raison de la pandémie, à distance.»
Siprachanh, également étudiante au BASA, avait le personnage de Mélanie, qui souffre du trouble de la personnalité limite. Celle-ci dit avoir particulièrement aimé ce projet, car il était lié à une cause sociale. «Ce projet me touchait personnellement, car, après mes études, j’aimerais réaliser des simulations virtuelles pour les vétérans de l’armée qui ont subi des chocs post-traumatiques.»
Le cours Studio I est, en effet, particulièrement axé sur des projets liés à des causes sociales, mais aussi sur la recherche et toute une diversité de domaines. À ce jour, divers projets d’animation ont été réalisés par les étudiants du cours pour différents départements et facultés, notamment sur les sujets suivants: l’obésité, le cancer du poumon et la violence conjugale.
Des personnages qui prennent vie, dans des cours!
Les avatars 3D sont en fait utilisés dans deux cours donnés par la professeure Dufour au baccalauréat en psychoéducation: Intervention en santé mentale et Principes d’intervention auprès de clientèles involontaires. Tout comme c’était le cas avec les personnages 2D, les scénarios sont préalablement écrits et pensés. D’un clic du doigt, le groupe d’étudiants fait apparaître le dialogue entre l’avatar et eux. Puis, 3 choix de diagnostic se présentent à eux.
«Les 3 choix sont réalistes et possibles, indique la professeure. Par contre, ils sont aussi "gradués": certains sont réalistes et possibles, mais correspondent moins bien à la réalité de l’avatar. Bref, la meilleure réponse est parfaitement adaptée à la situation d’apprentissage. Les étudiants, qui font d’abord une réflexion individuelle, doivent ensuite prendre part à une discussion clinique, comme dans la vraie vie, et choisir, ensemble, une seule réponse. Et c’est uniquement cette réponse-là qui est évaluée.»
Une fois l’entente conclue, l’avatar «professeure» – personnifié par la professeure Dufour – leur explique la bonne réponse.
«Ceci est très formateur pour les futurs psychoéducateurs, souligne la professeur Dufour. De plus, on dépasse largement les attentes qu’on avait sur le plan pédagogique: les étudiants apprennent à mieux travailler en équipe, à communiquer leurs opinions, à argumenter, à se remettre en question, à revoir leur mode de fonctionnement, à relire attentivement les informations fournies, à respecter les silences, bref à peaufiner leur esprit critique et à devenir, par conséquent, de meilleurs intervenants.»
«Grâce aux expressions faciales et aux émotions des avatars, qui sont très bien réussies, on vit une interaction, on se rapproche tellement de la réalité. Ça nous permet de nous sentir vraiment engagés dans l'intervention, même si c'est un avatar, même si nous sommes à distance», affirme Rose, qui en est à la dernière année de son bac et qui réalise un stage à Vallée Jeunesse Québec, un OBNL qui a pour mission principale de venir en aide à des jeunes éprouvant des difficultés sur le plan social ou scolaire.
«Je trouve que l’utilisation d’avatars 3D est une très bonne façon d’appliquer la théorie d’une façon plus pratique, puisqu’on est en interaction, comme si on faisait une intervention avec un usager et qu’on devait choisir la meilleure avenue à préconiser en fonction de la théorie qu’on a apprise durant le cours», indique pour sa part Elizabeth Morin, également en troisième année au baccalauréat en psychoéducation. Celle-ci fait présentement un stage à l’école primaire Notre-Dame-de-Foy, plus précisément pour le programme spécialisé L’œil du cyclone, destiné aux enfants présentant des troubles graves du comportement et des difficultés d’adaptation.
Également lauréate en 2018 d’un Prix d’excellence en enseignement de l’Université Laval, la professeure Dufour dit avoir un rêve: pouvoir partager le modèle d’avatars 3D et l'exporter dans une foule d'autres domaines, question de rapprocher davantage la formation universitaire de la réalité.
«Ma plus grande fierté, c’est de faire tomber des barrières entre les gens. Parfois, certaines personnes, peu importe leur domaine, peuvent avoir peur de travailler avec certaines clientèles, soit par crainte d’avoir des préjugés, soit parce qu’elles sont elles-mêmes marquées par des blessures du passé. Or, nous sommes tous humains. Et tous les humains sont dignes d’amour et d’aide!»