Simon-Pierre Deschênes est inscrit au doctorat en informatique. Il fait partie de l’équipe de recherche du professeur François Pomerleau au Laboratoire de robotique boréale de l’Université Laval, le Norlab. Du 21 au 24 septembre 2021, il a participé, avec le professeur et trois autres étudiants du laboratoire, à la finale du Subterranean Challenge, au Kentucky. Pour relever ce grand défi scientifique, ces chercheurs ont fait équipe dès le début de la compétition, en 2018, avec des chercheurs du Centre de robotique et de systèmes autonomes de l’Université technique tchèque. Ceux-ci étaient environ 45, dont trois professeurs.
Le Challenge est une compétition de robotique internationale de haut niveau qui met l’accent sur l’autonomie, la perception, le réseautage, les technologies de mobilité et la cartographie de zones souterraines aux conditions imprévisibles. Cette compétition est organisée et financée par l’agence du Département de la défense des États-Unis chargée de la recherche et du développement de nouvelles technologies, la DARPA. La finale au Kentucky était la dernière d’une série d’étapes tenues sur trois ans en territoire américain. Elle s’est déroulée sur une superficie de 0,4 kilomètre carré à l’intérieur d’une ancienne mine de calcaire, la Mega Cavern de Louisville.
«L’été dernier, une quinzaine de personnes du Laboratoire ont travaillé pratiquement à temps plein sur cette compétition, raconte Simon-Pierre Deschênes. L’équipe de l’Université Laval s’est rendue au Kentucky deux semaines avant la finale afin de préparer le matériel. Nous avions loué une maison à 45 minutes du site. Nous avions apporté trois robots en pièces détachées. Chaque matin, nous nous rendions à la maison louée par nos collaborateurs tchèques. On a assemblé les robots dans le garage. Ensemble nous avons fait l’intégration des algorithmes et de l’intelligence artificielle. À Québec, nous avions fait l’électronique et la réseautique des capteurs à haut débit. Cette intégration a représenté le gros du travail. C’était du sport.»
Les scientifiques travaillaient environ 80 heures par semaine. «On se levait, on travaillait et on se couchait, poursuit l’étudiant. On avait du plaisir quand même. Une fois un robot assemblé, il fallait le faire fonctionner avec nos logiciels et ceux de nos partenaires. Notre expertise a servi à calibrer leurs robots et les nôtres et à apporter quelques ajustements à nos logiciels. Vers la fin des deux semaines, nous sommes passés aux tests. On sortait la nuit autour de la ferme où résidaient nos collaborateurs. Il y avait une forêt à proximité. On lançait aux robots la commande d’exploration de la ferme. Chaque robot a son propre système d’éclairage. On avait caché des objets ça et là. Les robots les localisaient grâce à leurs caméras et à leurs capteurs et nous envoyaient les données.»
Dix robots
Pour la compétition, le Norlab a acheté deux robots et en a modifié un qu'il possédait déjà. Les deux nouveaux étaient sur chenilles et le plus vieux était sur roues.
«Les versions à chenilles ont l’avantage de pouvoir monter les escaliers et d’être suffisamment compacts pour passer dans un cadre de porte résidentiel», précise le professeur Pomerleau, du Département d’informatique et de génie logiciel. Les partenaires tchèques avaient trois robots marcheurs achetés aux États-Unis et quatre robots volants. Ces drones de conception maison faisaient environ 30 centimètres de diamètre. «Certaines composantes des robots ont été conçues au Norlab, poursuit-il. Les bases mobiles, soit les roues, les moteurs et les châssis, sont achetées. Par contre, les circuits d’alimentation électrique, les réseaux informatiques internes des robots ainsi que les supports à capteurs ont été conçus au Norlab.»
Le Norlab se spécialise en systèmes mobiles et autonomes fonctionnant en conditions nordiques ou difficiles en général. Les chercheurs visent l’étude de problèmes liés aux algorithmes de navigation et sur la reconstruction 3D d’environnements.
«À travers nos recherches, explique-t-il, nous avons appris à déployer des robots dans des environnements très difficiles et à y produire des cartes fiables. Cette expertise nous a été très utile lors de la compétition, car nous avions rencontré plusieurs des défis auparavant. En effet, étant donné notre expertise en cartographie dans des environnements privés de signaux GPS, nous n’avons pas eu de problème à passer à un environnement souterrain. De plus, l’aspect dynamique amené par les conditions climatiques hivernales nous a préparé aux obstacles dynamiques de la compétition.»
François Pomerleau a déjà plusieurs années d’expérience à déployer des robots sur le terrain, que ce soit avec des pompiers sur des sites d’entraînement, avec des biologistes dans les pré-Alpes ou même dans l’inspection de tunnels de métro souterrain. «Pour ce qui est de la cartographie 3D en temps réel, dit-il, les robots devant savoir où ils sont pour prendre les bonnes décisions, il s’agit de mon expertise de recherche principale depuis les 13 dernières années.»
Trois étapes préliminaires
L’équipe québéco-tchèque, dont l’acronyme était CTU-CRAS-NORLAB, a participé aux trois étapes préliminaires du Subterranean Challenge. Les bons résultats obtenus lui ont mérité un laissez-passer pour la finale. En 2019, l’épreuve s’est déroulée dans une ancienne mine de charbon de la région de Pittsburgh. En 2020, les équipes concurrentes se sont affrontées à l’intérieur d’un réacteur nucléaire inachevé de la région de Seattle. La troisième épreuve au programme fut annulée pour cause de pandémie. L’équipe de l’Université Laval était en soutien à distance lors de la première étape. Elle était sur place avec ses robots pour les étapes subséquentes.
«Dans la mine de charbon, indique-t-il, le défi le plus grand était l’humidité. La majorité des robots marcheurs glissait sur une espèce de boue au sol. Dans les coins plus secs, les propulseurs des drones soulevaient suffisamment de poussières pour nuire à la vision artificielle de ces appareils. Dans la centrale nucléaire, une construction très impressionnante à voir, le plus compliqué était l’ampleur de la superficie à explorer. Les robots devaient parfois monter trois à quatre étages. Il leur fallait aussi traverser de petits escaliers d’urgence étroits.»
Des mannequins à retrouver
Au début, une soixantaine d’équipes ont pris le départ du Subterranean Challenge, dont le partenariat prometteur JPL-Caltech-MIT. Seules huit ont accédé à la finale.
La finale était basée sur le scénario suivant. À la suite d’un accident dans un environnement souterrain accidenté, des robots autonomes sont envoyés à la recherche des survivants. Ceux-ci, des mannequins, dégagent de la chaleur corporelle et émettent des sons vocaux. Ils ont près d’eux des téléphones cellulaires, des sacs à dos, des casques. Les robots se déplacent sur roues, sur chenilles, sur pattes ou du haut des airs. Ils sont privés de signaux GPS. Ils doivent créer et partager leurs propres cartes 3D en plus de construire leur propre réseau de communication.
Le labyrinthe à explorer comprenait trois zones interconnectées, soit un environnement urbain fait d’un entrepôt et de bureaux, un tunnel et une caverne. Par endroits, il y avait des flaques d’eau, de la boue, du gravier, des stalactites, des étages construits, des rails et de la fumée. Les robots étaient équipés de caméras qui leur permettaient de voir leur environnement et de capteurs pour détecter la chaleur et les sons. Ces données étaient transmises en temps réel à la station de base installée à l’entrée du labyrinthe. Chacune des équipes disposait de 60 minutes pour trouver le plus de mannequins et d’artéfacts possible. Les robots devaient aussi situer en dedans de cinq mètres l’emplacement des mannequins et des objets.
«Les partenaires tchèques étaient responsables du logiciel d’exploration des robots, souligne le professeur. Leur logiciel analysait les cartes 3D produites par les algorithmes du Norlab et envoyait les robots vers les zones susceptibles de contenir des artéfacts. Les partenaires tchèques étaient aussi responsables du réseau de communication qui permettait aux robots de communiquer entre eux ainsi qu’avec la station de base. Enfin, ils étaient responsables du logiciel de vision artificielle permettant de détecter automatiquement les artéfacts sur les images captées par les caméras des robots.»
L’équipe CTU-CRAS-NORLAB a terminé en troisième place aux deux étapes préliminaires. En septembre dernier, elle a décroché la deuxième place à l’une des finales du Subterranean Challenge. En plus d’un trophée, l’équipe québéco-tchèque a remporté une bourse de 500 000 dollars américains.
«Le Norlab était relativement jeune par rapport au début de la compétition en septembre 2018, rappelle François Pomerleau. Le laboratoire a été fondé en décembre de cette année-là, date de mon entrée en fonction comme professeur adjoint. Normalement, ce genre de compétition vise les laboratoires bien établis ayant accès à beaucoup d’infrastructure et de personnel. Ce fut une opportunité incroyable de pouvoir démontrer au monde entier que nous avons une expertise de calibre mondial en robotique mobile et que nos étudiants aux cycles supérieurs travaillent à la frontière de ce qu’il est possible de faire avec des véhicules autonomes.»