Depuis 1945, la Faculté de théologie et de sciences religieuses et la Faculté de philosophie de l’Université Laval partagent les pages de la revue savante Laval théologique et philosophique. C’est pour souligner les 75 années d’existence de cette publication, en 2020, que la Bibliothèque présente une exposition que l’on peut voir au quatrième étage du pavillon Jean-Charles-Bonenfant. Intitulée Publier pour éclairer, elle rend hommage à l’une des plus anciennes revues scientifiques de l’Université. Elle tiendra l’affiche jusqu’au 11 septembre 2022.
«L’initiative de l’exposition revient au doyen de la Faculté de théologie et de sciences religieuses, Guy Jobin», explique la co-commissaire responsable de l’exposition, Anne-Marie Deshaye, également titulaire du diplôme d’études supérieures spécialisées en muséologie de l’Université Laval. «Il avait, poursuit-elle, le désir de souligner le 75e anniversaire de la revue et de publier un numéro spécial sur cet anniversaire, numéro qui a paru en 2020. Il a agi comme co-commissaire de l’exposition. La réalisation a été chapeautée par Marie Dufour, chargée de conservation et de restauration et responsable de la médiation culturelle à la Bibliothèque.»
Sobre dans sa présentation, dense dans son contenu, l’exposition captivera celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire du 20e siècle sous l’angle de deux grandes disciplines, anciennes, certes, mais toujours pertinentes dans le monde moderne. Et quoi de mieux que d’incarner la théologie et la philosophie dans des personnalités, ce que fait à merveille l’exposition. Les penseurs anciens sont représentés par une statue en bois de saint Thomas d’Aquin et par des bustes en plâtre de Platon et de Sénèque. Plus près de nous, on retrouve les deux cofondateurs de Laval théologique et philosophique, Charles De Koninck et Alphonse-Marie Parent. Le premier, professeur de philosophie et auteur de 160 publications scientifiques, sera doyen de sa faculté pendant près de 20 ans. Le second a occupé successivement les fonctions de professeur, de doyen, de secrétaire général, de vice-recteur et de recteur. Il a également donné son nom au rapport qui a pavé la voie à la modernisation du système d’enseignement québécois.
«Dès le début, les cofondateurs avaient pour objectif de diffuser les travaux de recherche menés dans les deux disciplines. «Ils voulaient permettre à leur génération et aux suivantes de s’exprimer de manière libre», peut-on lire sur un panneau placé à l’entrée de l’exposition. «Ils avaient la volonté, souligne Anne-Marie Deshaye, de ne pas paraître comme une revue facultaire, ils voulaient se démarquer en se tournant vers l’extérieur.» Au fil des ans, les articles de philosophie traiteront notamment de la dialectique de Hegel, de la pensée de Kant ainsi que de la philosophie contemporaine.
Quatre auteures
Dans l’exposition, les deux cofondateurs sont présentés avec quatre auteures ayant collaboré à la revue, chacune à son époque. Ce sont sœur Marie-Emmanuelle Chabot (histoire et philosophie), sœur Monique Dumais (théologie féministe au Québec), Louise Mélançon (théologie féministe) et Olivette Genest (textes bibliques).
Tous et toutes sont mis en valeur par de grandes toiles descendant du plafond et comprenant une grande photo et un texte.
«Une quinzaine d’auteures ont publié avant 1970 dans Laval théologique et philosophique, indique Anne-Marie Deshaye. Ce sont des religieuses pour la grande majorité qui sont venues terminer leurs études à Québec ou qui étaient en contact épistolaire avec le secrétariat de la revue. Cependant, elles ne sont pas "jeunes" pour autant. Nous avons peu de données sur les détails de leur identité, outre leurs noms. La revue était donc moderne dans son approche et son ouverture. Le comité de sélection des textes s'intéressait au sujet du texte, tout simplement.»
La direction de la revue prend position très tôt pour la libération de la parole des femmes. Dans les 38 premiers numéros de Laval théologique et philosophique, plus de la moitié contiennent des textes écrits par des chercheuses.
Le professeur émérite de la Faculté de philosophie, Thomas De Koninck, complète la galerie de personnalités. Dans une vidéo de 45 minutes, montée à partir d’une entrevue menée par le doyen Guy Jobin, il se remémore notamment le travail de son père. «Il était essentiel d’obtenir le point de vue du professeur De Koninck, affirme la co-commissaire. On le présente comme la mémoire vivante de son père. Il se rappelle l’avoir vu travailler sur la revue jusqu’à son décès en 1965. Une des questions qui lui sont posées porte sur l’impact de la Révolution tranquille sur la posture éditoriale de Laval théologique et philosophique. Sa réponse est que, oui, il y a eu impact. Il en veut pour preuve le progressisme de son père et les apports de Fernand Dumont et d'Alphonse-Marie Parent. Ceux-ci exprimaient une volonté ferme d’adapter la revue au monde contemporain.»
En cours d’entrevue, le professeur De Koninck souligne l’intérêt aujourd’hui d’étudier en philosophie et en théologie, «un intérêt, soutient-il, plus grand que jamais, à commencer par le sens de la vie».
Matérialisme dialectique
Tous les artefacts réunis dans l’exposition proviennent des collections de l’Université Laval. Tous sauf une lettre de Charles De Koninck à Alphonse-Marie Parent écrite en 1965 à Rome, quelques jours avant son décès alors qu’il assistait au concile Vatican II. Un des textes de l’exposition mentionne l’«affinité intellectuelle» entre les deux hommes, ainsi que leur «indéfectible complicité». Le professeur de philosophie était un interlocuteur crédible auprès des laïcs et de l’Église catholique, lui qui a notamment pris position pour la neutralité confessionnelle des écoles.
L’exposition compte notamment des ouvrages, des documents d’archives, des objets témoins de la vie de Laval théologique et philosophique. On peut aussi voir de nombreux numéros publiés depuis la fondation de cette revue multidisciplinaire. Le tout premier fascicule a vu le jour en janvier 1945. Un des articles que signe Charles De Koninck porte sur le matérialisme dialectique d’après Staline. Une femme du nom de Georgette Dorval, identifiée comme «docteur en philosophie» signe un texte sur saint Thomas d’Aquin. Dans les années d’après-guerre, la revue dénonce le marxisme-léninisme et l’antisémitisme. À la fin des années 1960, elle se fait souvent l’écho des théologies sud-américaines de la libération. Pour les chrétiens luttant pour la justice, ces théologies soutiennent que Dieu est du côté des pauvres, des opprimés et des proscrits.
Deux numéros spéciaux parus dans les années 1990 retiennent l’attention. En février 1994, la thématique était la théorie synthétique de l’évolution. En octobre 1997, on publiait les actes d’un colloque international tenu l’année précédente à l’Université Laval sur le philosophe René Descartes.
Dans le palmarès des textes les plus consultés de Laval théologique et philosophique sur Érudit, l’infrastructure de soutien de la publication numérique ouverte, «L’autodétermination des peuples comme principe juridique» (1997) vient au premier rang, suivi immédiatement après par «Plato and Aristotle on the Ends of Music» (1978). Enfin, au cinquième rang, on trouve «The Two Cities in Saint Augustine» (1962).
Sur le panneau intitulé Laval théologique et philosophique en chiffres, on peut lire qu’en 2019-2020, 446 267 pages de la revue ont été consultées par des internautes américains. Au cours de la même période, les internautes français ont lu 150 531 pages et les internautes canadiens 93 357 pages.
En 2021, Laval théologique et philosophique continue d’éclairer. On y parle de sujets aussi variés que la métaphysique, la philosophie et la théologie politiques, l’éthique, la pensée juive, la théologie apophatique et la bioéthique.