Deux études publiées coup sur coup par une équipe de l'Université Laval dans la Revue canadienne des sciences du comportement et dans Frontiers in Psychology arrivent à des conclusions qui entrent en collision frontale avec une idée reçue: le temps passé devant la télé par les enfants du primaire a un effet négligeable sur leur réussite scolaire et sur leurs habiletés en lecture.
«L'idée que le temps passé devant la télé rend les enfants paresseux intellectuellement ou leur enlève du temps qu'ils pourraient consacrer à des activités favorisant leur réussite scolaire est bien ancrée dans notre société. Les gens l'acceptent et la transmettent sans la questionner. Avant d'entreprendre ces études, j'étais moi-même convaincu que la télé nuisait à la réussite scolaire. J'ai dû me rendre à l'évidence: nos résultats ne soutiennent pas cette idée», souligne Frédéric Guay, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.
D'entrée de jeu, le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en motivation, persévérance et réussite scolaires tient à préciser que ses travaux ne doivent en aucun cas être interprétés comme une caution scientifique pour que les enfants passent du temps devant la télé. «Les parents ont plusieurs bonnes raisons, dont certaines touchent la santé, pour réguler le temps que leurs enfants passent devant la télé et pour les encourager à faire autre chose. Toutefois, la réussite scolaire ne fait pas partie de ces bonnes raisons», précise-t-il.
Les constats des chercheurs découlent d'une méta-analyse de 13 études consacrées au lien entre la télé et la réussite scolaire, ainsi que de l'analyse de données récoltées auprès de 2223 jeunes québécois qui ont été suivis entre l'âge de 6 et 10 ans dans le cadre de l'Étude longitudinale du développement des enfants du Québec. Les chercheurs ont vérifié s'il existait une corrélation entre la réussite scolaire, notamment les habiletés en lecture, et le temps consacré à l'écoute de la télévision dans cet échantillon de quelque 91 000 jeunes. Leur conclusion est nette: l'effet est négligeable.
Comment expliquer cet étonnant résultat? «Une possibilité est que le temps passé devant la télé n'aurait pas été utilisé pour réaliser des activités favorisant la réussite scolaire, avance le professeur Guay. Les jeunes ont besoin eux aussi de moments de détente. Arrive un moment où ce qu'un enfant fait de son temps ne changera pas ses résultats scolaires.»
Frédéric Guay questionne d'ailleurs la logique qui sous-tend l'idée qu'un enfant du primaire qui éprouve des difficultés d'apprentissage réussira mieux s'il est privé de télévision. «Si un enfant ne possède pas les stratégies lui permettant de surmonter des difficultés en lecture, en mathématiques ou en d'autres matières, je ne vois pas comment le fait de le priver de télé et l'envoyer dans sa chambre pour qu'il étudie davantage pourrait l'aider. Ce n'est pas la solution.»
Le professeur Guay provoque des remous lorsqu'il présente les conclusions de ses travaux devant des spécialistes du monde de l'éducation ou devant des parents. Mais, il persiste et signe. «Nos analyses portent sur des dizaines de milliers de jeunes et les résultats sont là. Il faut tenir compte des données probantes pour recentrer les discussions autour des enjeux qui sont véritablement au cœur de la réussite scolaire des enfants. Je pense notamment au rôle clé joué par l'enseignant, surtout auprès des enfants qui ont des difficultés scolaires.»
Les deux articles scientifiques sont le fruit du travail de doctorat d'un membre de l'équipe du professeur Guay, Wilfried Supper. L'autre signataire est Denis Talbot, de la Faculté de médecine et du Centre de recherche du CHU de Québec – Université Laval.