Il y a 50 ans, le dindon sauvage était rarement observé de ce côté-ci de la frontière américaine. Depuis, non seulement cet oiseau s'est-il installé en permanence dans le sud du Québec, mais il se retrouve aujourd'hui à 500 kilomètres au nord de sa limite historique. Qu'est-ce qui arrêtera sa progression au Québec? La neige, suggère une étude qui vient de paraître dans la revue Oecologia.
Dirigée par le professeur Jean-Pierre Tremblay, du Département de biologie, du Centre d'études nordiques et du Centre d'étude de la forêt de l'Université Laval, cette étude repose sur des données provenant de trois populations de dindons sauvages réparties sur un gradient latitudinal de sévérité hivernale (abondance de neige et température). La première habite la région de Huntingdon, en Montérégie, la seconde est à Dunham, dans les Cantons-de-l'Est, et la troisième vit près de Val-des-Sources, anciennement Asbestos.
Les chercheurs ont créé un modèle qui tient compte de l'effet des variables climatiques sur les effectifs de ces trois populations de dindons sauvages. «Nous avons utilisé ce modèle pour estimer l'effet des changements climatiques projetés pendant le prochain siècle sur les effectifs de cette espèce», souligne Jean-Pierre Tremblay.
L'accumulation de neige au sol a un effet majeur sur les effectifs de dindon sauvage au Québec, révèlent les travaux de cette équipe. «Les dindons se nourrissent principalement de grains perdus dans les champs agricoles ainsi que de bourgeons de plantes et d'arbustes, précise le professeur Tremblay. Les périodes où le couvert de neige dépasse 30 centimètres pendant 10 jours consécutifs affectent fortement leur survie. Contrairement à d'autres animaux, le dindon ne se constitue pas de réserves de graisse et il doit s'alimenter continuellement pour survivre.» Les basses températures hivernales manifestent leur effet uniquement lorsque le couvert de neige est épais parce qu'elles augmentent les besoins énergétiques des dindons au moment où la nourriture se fait rare, ajoute-t-il.
Les populations de dindons sauvages qu'on retrouve au Québec sont formées de migrants venus du Vermont et de New York ainsi que de descendants d'oiseaux issus de programmes de réintroduction. Les femelles pondent de 10 à 12 œufs chaque printemps. Cette fécondité élevée, l'omniprésence des champs de maïs et les hivers moins rigoureux auraient favorisé sa progression au Québec.
La situation du dindon est toutefois précaire sur le front nord de son aire de répartition. Un hiver neigeux peut décimer jusqu'à 60% des effectifs. Même si les modèles climatiques prévoient que la probabilité d'épisodes d'accumulation élevée de neige diminuera au cours des prochaines décennies, elle demeurera suffisamment élevée pour affecter les populations de dindons sauvages.
«Le dindon pourrait continuer sa progression vers le nord pendant quelques années encore, peut-être même jusqu'en Abitibi, avance le professeur Tremblay. Par contre, les populations qui se trouvent sur ce font seront toujours dans un état précaire, à la merci d'un gros hiver. Pour se maintenir, elles vont dépendre d'un afflux constant de nouveaux arrivants venus du sud.»
L'étude publiée dans Oecologia est signée par Maxime Lavoie et Jean-Pierre Tremblay, de l'Université Laval, Stéphanie Jenouvrier, du Woods Hole Oceanographic Institution, Pierre Blanchette, du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, et Serge Larivière, du Cree Hunters and Trappers Income Security Board.