7 octobre 2020
Un éducateur, un administrateur et un visionnaire
Il y a 50 ans s’éteignait Mgr Alphonse-Marie Parent, ancien recteur de l’Université et ex-président de la commission royale d’enquête dont les travaux ont mené à la transformation en profondeur du système d’enseignement québécois
Il y a un demi-siècle, le 7 octobre 1970, disparaissait subitement Mgr Alphonse-Marie Parent, 18e recteur de l’Université Laval. Il avait 64 ans. Avec lui se tournait une page déterminante, non seulement de l’histoire de l’Université, mais également de l’histoire du Québec. Durant sa longue carrière à l’Université, Mgr Parent a occupé successivement les fonctions de professeur, de doyen, de secrétaire général, de vice-recteur et de recteur. Il sera recteur de 1954 à 1960. En 1961, le ministre Paul Gérin-Lajoie le nommera président de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec. Cette commission sera active jusqu’en 1966 et accouchera d’un remarquable rapport pavant la voie à la modernisation du système d’enseignement québécois.
«La contribution de Mgr Parent fut considérable et plurielle, affirme le professeur Martin Pâquet du Département des sciences historiques. Pour bien saisir ce personnage fascinant et important dans l’histoire québécoise, il faut le replacer dans son contexte.»
Dans les années 1920, Alphonse-Marie Parent termine ses études classiques et obtient ensuite son baccalauréat ès arts de l’Université Laval, puis un doctorat en théologie. Il est ordonné prêtre en 1929 et il entreprend la même année sa carrière de professeur de philosophie. À cette époque, il côtoie de jeunes et brillants intellectuels dont Charles De Koninck et Georges-Henri Lévesque. De 1933 à 1936, il poursuit des études doctorales en philosophie à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.
«Très tôt dans sa vie Alphonse-Marie Parent est en contact avec l’international, indique le professeur Pâquet. Il voit le modèle universitaire belge. Par la suite, il découvrira le modèle universitaire américain. Il retiendra qu’aux États-Unis, le professeur d’université est aussi un chercheur en dialogue avec la communauté. À l’Université Laval, il s’implique très rapidement. En 1938, il fonde et dirige les cours d’été de l’Université. Il apporte aussi son soutien au père Georges-Henri Lévesque pour son projet de création d’une école des sciences sociales.»
Ses réalisations comme éducateur le conduisent en 1949 à la présidence de l’Association canadienne des éducateurs de langue française. En 1955, il est élu président de la Fédération nationale des universités canadiennes.
À l’Université Laval, Mgr Parent va devenir «l’éminence grise». Dans les années 1950, comme vice-recteur, il s’occupe de toutes les questions qui touchent à l’administration, notamment le budget. La décision de créer à Sainte-Foy un campus universitaire moderne remonte à cette époque et s’inscrit dans la volonté d’accueillir un nombre croissant d’étudiants, conséquence du baby-boom d’après-guerre. «Alphonse-Marie Parent, souligne Martin Pâquet, était très sensible à la transformation de la société, celle-ci moins axée sur l’agriculture et davantage sur l’industrie, et au fait que l’Université devait suivre le mouvement et former des travailleurs instruits afin de remplir sa mission éducative. Pour financer les nouvelles infrastructures, comme l’Église catholique ne pouvait pas être seule à contribuer, l’Université Laval s’est tournée vers le gouvernement du Québec et de grands mécènes.»
Selon le professeur, Mgr Parent était un intellectuel de première force doté d’une mémoire phénoménale. «C’était quelqu’un de terre à terre qui aimait parler aux gens, explique-t-il. C’était un clerc dans le monde, qui était beaucoup plus dans l’action que dans la spéculation théologique.»
Selon lui, le choix de Mgr Parent par le gouvernement Lesage comme président de la future Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec était stratégique. «Le gouvernement, dit-il, a choisi un religieux éclairé, un homme de l’intérieur de l’Église qui était ouvert au changement. Le volume un du rapport Parent recommandait la création d’un ministère de l’Éducation. Ce fut fait. D’autres recommandations visaient la création des cégeps en remplacement des collèges classiques, l’école obligatoire jusqu’à seize ans et l’accès pour tous à l’université. Ces grandes réformes correspondaient aux enjeux contemporains, dont la démocratisation du savoir.»
Pour la rectrice Sophie D’Amours, Alphonse Marie-Parent a été beaucoup plus qu’un bâtisseur important dans l’histoire de l’Université Laval, lui qui a notamment joué un rôle de premier plan dans la transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche à l’Université. «Cet homme profondément habité par les valeurs de notre université, souligne-t-elle, a été un agent de changement. Il a été au cœur de l’une des transformations les plus importantes de l’Université Laval. Et cet esprit, ce désir de changement et d’innovation, nous le portons toujours toutes et tous au sein de notre communauté.»
Une aventure exaltante
Guy Rocher est professeur émérite du Département de sociologie de l’Université de Montréal. Dans les années 1950, ce diplômé de la maîtrise en sociologie à l’Université Laval enseignait à son alma mater. En 1960, il alla poursuivre sa carrière à Montréal. C’est là qu’il reçut un appel du ministre Paul Gérin-Lajoie. «Le ministre m’a demandé de faire partie de la commission qu’il voulait mettre sur pied, raconte le professeur Rocher. Je lui ai répondu que je ne connaissais rien au monde de l’éducation, que je n’étais pas du tout un expert sur le sujet. Il m’a répondu que c’était exactement ce qu’il recherchait, des non-experts. Il disait vouloir une communication ouverte de la part des commissaires. Je n’étais pas très chaud à l’idée de faire partie de la commission, mais j’ai finalement accepté. Et je n’ai jamais regretté ma décision. Ce fut une aventure exaltante de cinq années qui ont changé ma vie. Pas besoin de dire qu’après la commission, j’étais devenu un spécialiste de l’éducation!»
La commission se réunissait deux fois par mois, de deux à trois jours chaque fois. Les rencontres se tenaient en alternance entre Québec et Montréal. Parallèlement à la commission, chacun des commissaires conservait son emploi. «Il y avait beaucoup d’amitié et de respect mutuel entre nous, se rappelle Guy Rocher. Mais cela n’empêchait pas les divergences. Il y avait certains moments de tensions, bien sûr. Atteindre le consensus en vue d’une décision n’était pas toujours facile. Les discussions étaient parfois assez vives.»
Le professeur Rocher a apprécié travailler avec Mgr Parent, qu’il qualifie d’homme très agréable. «C’était un rassembleur, dit-il. Il n’a jamais imposé ses idées de force. Il était plutôt accueillant à nos idées. Il cherchait les compromis, les points d’entente entre nous. C’était un médiateur qui n’utilisait jamais l’autorité. Lui et nous étions tous sur un pied d’égalité. J’ai beaucoup admiré sa patience et sa manière habile de présider.»
La première observation faite par les commissaires fut la sous-scolarisation des jeunes Québécois de langue française. À cette époque, deux francophones sur trois arrêtaient leurs études à la septième année du primaire. En 1960, 3% des francophones âgés de 20 à 24 ans fréquentaient l’université. Chez les anglophones du Québec, le taux était de 11 % pour le même groupe d'âge.
«C’était un scandale, rappelle Guy Rocher. Il fallait absolument changer ça. Les jeunes francophones devaient se scolariser. Il était important pour les commissaires que chaque personne puisse s’instruire, sinon l’économie québécoise allait demeurer une économie de colonie dans un monde qui s’industrialisait.»
Durant toutes ces années, la commission a reçu pas moins de 349 mémoires et interviewé 125 éducateurs. Le mémoire dont le professeur Rocher se souvient le mieux est celui de l’association des étudiants de l’Université de Montréal. «Le mémoire était présenté par Bernard Landry et Pierre Marois, souligne-t-il. Ce document était très fort et différent des autres. Il proposait notamment de laïciser l’Université de Montréal, d’en faire un établissement non confessionnel. Nous étions loin de ça. Les jeunes nous arrivaient avec une proposition d’avenir. On voyait que le mémoire avait été réfléchi. Ils se projetaient dans l’avenir.»
Les commissaires ont aussi visité une cinquantaine d'établissements d'enseignement au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Europe. «Nous voulions sortir l’école primaire de son fonctionnement traditionnel et en faire un lieu de vie actif, explique-t-il. C’est en Angleterre que nous avons vu le modèle le plus intéressant. En Suède, nous avons été impressionnés par leurs polyvalentes. En Écosse, nous avons été frappés par le système universitaire. Nous sommes aussi allés en Russie et aux États-Unis. Le voyage à Kiev et à Moscou a été assez extraordinaire. En Californie, le système d’universités d’État nous a inspirés pour créer le réseau des cégeps.»
Le rapport Parent, ce sont cinq volumes totalisant quelque 1500 pages. Guy Rocher en était le corédacteur avec la commissaire Jeanne Lapointe, professeure de littérature à l’Université Laval. Ce volumineux document contenait environ 500 recommandations.
«La création des collèges d’enseignement général et professionnel a été, selon moi, la principale innovation proposée par le rapport Parent, soutient-il. À mon avis, les cégeps ont le plus transformé le Québec. Ils ont permis à un grand nombre de gars et de filles de suivre une formation générale préparant à l’université ou une formation technique préparant au marché du travail. Ce fut notre proposition la plus révolutionnaire. Je considère le cégep comme une institution remarquable, qui contribue beaucoup au développement culturel et économique des régions.»
Guy Rocher est resté marqué par sa participation à la commission Parent. «Au début de nos travaux, dit-il, plus on travaillait, plus on sentait que l’on faisait quelque chose pour l’avenir. Si nos recommandations étaient mises en œuvre, elles contribueraient à démocratiser l’accès à l’éducation pour tous et à tous les niveaux d’enseignement. À cette époque, le système d’éducation était élitiste. Il favorisait une mince couche de la population. Nous sentions que le Québec était à la croisée des chemins. La population et le monde de l’éducation souhaitaient qu’il y ait d’importants changements. Du même coup, les réformes allaient favoriser la modernisation du Québec. Nous entrions dans l’ère industrielle et dans une société plus égalitaire.»