Le site archéologique de l’Anse à Henry est situé du côté nord de l’île de Saint-Pierre, dans l’archipel français de Saint-Pierre-et-Miquelon, à 19 km au sud des côtes de Terre-Neuve. Il couvre une surface d’environ 8 hectares sur une mince bande de terre dans un environnement subarctique balayé par les vents de l’Atlantique Nord. Découvert durant les années 1970, le site est exposé à une érosion accélérée par la montée des eaux provoquée par les bouleversements climatiques.
C’est là que s’est déroulé en septembre dernier un chantier de fouilles mené par une équipe franco-québécoise de dix personnes. Le projet était codirigé par l’archéologue français Grégor Marchand, directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Université de Rennes, et l’archéologue québécois Réginald Auger, professeur au Département des sciences historiques de l’Université Laval. Financé par le ministère français de la Culture, le projet a pour objectif d’alimenter le dossier de Saint-Pierre-et-Miquelon en vue d’une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.
«Ce projet, qui se poursuivra en 2020 et 2021, est enthousiasmant, affirme le professeur Auger. La communauté de Saint-Pierre-et-Miquelon a été très accueillante. Nous avons donné trois conférences dans le lycée et au musée. Sur le plan scientifique, l’Anse à Henry est un site d’une grande richesse. Nous y avons notamment découvert un ancien niveau archéologique incroyablement préservé contenant trois aires de combustion avec charbon de bois bien préservé, des outils bifaciaux et les restes de deux concentrations de débitage témoignant du façonnage d’outils en pierre de type chert. Une première évaluation de la typologie porte à croire que nous serions en présence d’un campement datant de la phase Paléoesquimau ancien de type Groswater, soit -800 à -100 avant notre ère.»
Au-dessus de ce niveau les archéologues ont d’abord mis au jour un dallage datant du 19e siècle. Cet assemblage de pierres servait au séchage de la morue que l’on envoyait en Europe et dans les Antilles.
Un site difficile d’accès balayé par les vents du large
L’équipe de fouilles campait à bonne distance de l’Anse à Henry. Chaque matin, les campeurs marchaient pendant une cinquantaine de minutes pour se rendre au site, en empruntant un sentier vallonneux, boisé et rocailleux. Les variations du climat compliquaient le travail de terrain.
«Nos interventions ont porté sur les zones du site étant les plus menacées par l’érosion côtière, explique Réginald Auger. Les sondages que nous avons établis sur le versant orienté au nord montrent des dynamiques colluviales ayant très largement dégradé ces habitats préhistoriques qui livrent, par ailleurs, un mobilier lithique très abondant. Nous disposons désormais d’un bon bilan de ce site, qui ne fut pas simple à obtenir, tant la dynamique de sa sédimentation fut complexe à saisir, d’autant qu’elle trouve à s’exprimer sur plus de huit hectares.»
Tout le long du chantier les participants ont effectué des prospections dans le but de trouver des gisements de matières premières et de nouveaux sites. Parmi les deux gisements repérés, celui de Bois Brûlé, à l’ouest de l’île, s’est avéré totalement inédit. «Bois Brûlé, souligne le professeur, est un site archéologique majeur, jonché de milliers d’éclats de pierre et d’ébauches bifaciales, dont une grande part provient des roches taillées à l’Anse à Henry.»
Deux sorties sur l’île de Miquelon ont permis de localiser la présence, entre autres, de quatre amas coquilliers. «Il est assez rare, indique-t-il, de retrouver dans l’Est canadien des accumulations de coquilles de mollusques provenant des repas des occupants de sites archéologiques.»
Trois étudiants de l’Université Laval faisaient partie du groupe, soit Laurent Bélanger, Florence Bisson et Alexandre Naud. Les deux premiers sont inscrits au baccalauréat en archéologie, le troisième est à la maîtrise. Selon Réginald Auger, les équipes française et québécoise étaient «allumées».
«On s’est rendu compte que chacune des équipes avait ses forces, souligne ce dernier. Nos étudiants étaient davantage versés sur la théorie en archéologie. Les étudiants français, eux, parlaient plutôt de technologie. Ce projet de recherche va être le fruit d’une collaboration dans laquelle nous devons faire des compromis. De part et d’autre, nous sommes bien ancrés dans nos façons de faire. Par exemple, au Canada on n’éternise pas les choses. En Europe, on va tamiser le sol. Autre exemple: nous avons tendance à faire la photo d’un objet archéologique découvert. Les Français, eux, le dessinent. Quand on regarde un artéfact pendant deux ou trois heures, on va vraiment le comprendre.»
Au cours d’une cinquième semaine, les étudiants Laurent Bélanger et Florence Bisson ont suivi une formation de l’archéologue Grégor Marchand sur l’analyse et le dessin de pièces archéologiques. Règle générale l’équipe franco-québécoise a procédé à l’étude du mobilier exhumé et à la classification des documents de fouille.
L’été prochain, trois géomorphologues se joindront à l’équipe pour faire le monitorage et l’étude des principes d’érosion qui affectent le site. La professeure Najat Bhiry, du Département de géographie de l’Université Laval, sera du nombre. Plus globalement, l’équipe fouillera une vaste surface, notamment pour identifier de nouveaux sites fréquentés par les Européens et les Premières Nations, dont les Mi’kmaq et les ancêtres des Béothuks. «Nous avons des mentions du 16e siècle faisant référence à l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon comme étant un lieu que les Basques fréquentaient pour la pêche», explique Réginald Auger.