Un père, bébé sur le dos, passe l’aspirateur. Un autre vernit les ongles de son aîné, tandis qu’un troisième fait son épicerie. Autant de situations du quotidien croquées par le photographe Johan Bävman, qui est allé à la rencontre de pères suédois en congé parental de plus de six mois. Son but: montrer comment des hommes apprennent leur rôle de parent en partageant seuls l’intimité de leur progéniture lors de cette période. L’exposition Papas/Swedish Dads, présentée jusqu’au 11 octobre au 4e étage de la Bibliothèque au pavillon Jean-Charles-Bonenfant de l’Université Laval, permet de réfléchir aux effets de telles mesures de soutien sur l’égalité des genres. Un sujet qui a justement suscité beaucoup de discussions lors de la table ronde sur les congés parentaux, qui a eu lieu le 10 septembre.
Organisé par l’Institut Femmes, Sociétés, Égalité et Équité, en collaboration avec l’Association des parents-étudiants de l’Université Laval (APETUL) et le consulat général de Suède à Québec, l’événement a permis de souligner les avantages du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP), mais aussi ses limites. Créé en 2006, ce congé d’un an permet à la mère de bénéficier de 18 semaines à la maison avec son enfant, à 70% de son salaire, le père bénéficiant, lui, de 5 semaines. Les deux parents peuvent ensuite se partager 32 semaines à leur guise. À la différence du régime suédois, plus long de 18 mois, le système québécois donne un avantage aux mères, tandis qu’en Suède les deux partenaires se divisent le temps à leur guise.
Cette tendance en faveur des mères se reflète d’ailleurs dans les statistiques. Au Québec, elles prennent davantage de semaines de congé parental que les pères, même si ces derniers s’impliquent de plus en plus grâce à ce régime. Une implication qui se traduit dans la manière dont les hommes prennent leur rôle paternel au sérieux, selon Hélène Charron. Cette docteure en sociologie du genre et chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant, Femmes, Savoirs et Sociétés de l’Université Laval, constate que les nouveaux pères ont ainsi l’occasion de partager la responsabilité des soins des enfants. «À la différence des femmes, les hommes manquent parfois de modèles, soutient cette mère de trois enfants. Passer du temps seul avec leur enfant, cela montre qu’il peut être trippant de s’occuper des autres.»
Une opinion que partage Annie-Pierre Bélanger, étudiante à la maîtrise en sociologie et en études féministes à l’Université Laval, dont le conjoint n’avait jamais tenu de bébé dans ses bras avant de devenir père. En partageant avec lui le congé parental à la naissance de leurs quatre enfants, elle a pu constater que le temps passé avec les petits contribuait à un partage plus équitable et surtout moins stéréotypé des tâches. Cependant, cette ancienne responsable de l’APETUL constate aussi les limites du régime québécois.
«Ce type de congé ne s’applique pas aux étudiants, explique la travailleuse communautaire en conciliation famille-études-travail. Dans les faits, les parents-étudiants qui choisissent de s’occuper de leurs enfants n’ont donc pas de revenus durant cette période. Certains organismes subventionnaires continuent à verser leurs bourses durant le congé parental, mais il faut s’engager à ne mener aucune activité de recherche pendant cette période.» Les étudiants de l’Université Laval bénéficient toutefois depuis cet automne d’un statut d’étudiant parent. Cette politique, unique parmi les universités canadiennes, leur permet entre autres de conserver leur droit à disposer d’un local de recherche ou de maintenir leur inscription à la Bibliothèque.
Ces acquis n’ont rien de négligeable selon la chercheuse. Plusieurs études soulignent que certains parents vivent difficilement le brusque passage du milieu de travail ou d’études à celui des soins apportés aux enfants. Certains ont des difficultés à se réinsérer dans leur poste, d’autres voient leur carrière ralentir au retour du congé. Sans parler de la méfiance de certains employeurs face à ces parents qui s’investissent autant dans leur vie personnelle. Frédéric Parent, professeur de sociologie à l’UQAM et conjoint d’Hélène Charron, en a témoigné durant la table ronde. De retour d’un congé parental pris à la naissance de son troisième enfant, il a bien du mal à faire comprendre à sa direction qu’il souhaitait alléger sa tâche pour continuer à s’occuper de sa progéniture.