
Trois femmes migrantes kurdes près de la frontière.
— Georgios Katsagelos
Le voyage de la professeure Bélanger a duré 17 jours. Son conjoint et leur fils de 13 ans l’accompagnaient. Le périple avait pour objectif de produire du matériel didactique pour les étudiants de la professeure et pour le grand public.
«Aujourd’hui, explique-t-elle, les migrants sont invisibles sur l’ancienne route des Balkans. Ceux qui sont restés coincés lors des fermetures de frontières vivent maintenant dans des camps gérés par les gouvernements des différents pays, ou bien ils sont logés dans les villes. Outre les petits effectifs d’entrée autorisés, ceux qui tentent de traverser les frontières sont entre les mains de passeurs qui exigent des sommes exorbitantes, ou ils sont rapidement interceptés par la police. C’est un tout autre paysage qu’en 2015 alors que 885 000 migrants sont entrés dans l’Union européenne après avoir transité par différents pays via la route de l’Est de la Méditerranée.»
À ce jour, très peu de projets de recherche universitaires ont porté sur l’incroyable drame humanitaire qui s’est produit entre 2014 et 2016 dans cette partie du monde. Cette marée humaine fut qualifiée, par certains, de plus important déplacement de populations depuis la Seconde Guerre mondiale. Les migrants de la Syrie, les plus nombreux, étaient constitués à 50% de jeunes de moins de 18 ans, parmi lesquels un grand nombre d’enfants. «Ceux qui ont quitté leur pays étaient les plus jeunes, les plus en santé et les plus instruits, indique Danièle Bélanger. Les adultes avaient de l’argent, car le passage est coûteux. L’image du réfugié misérable, désespéré et analphabète n’était pas celle de la majorité.»
Le projet de la chercheuse a consisté à observer la route des migrants et à interviewer des témoins et des observateurs de la migration, que ce soit des travailleurs d’organisations non gouvernementales humanitaires, des policiers ou des chercheurs universitaires, quand il ne s’agissait pas de simples citoyens. Douze entrevues de fond ont été réalisées avec autant de personnes, dans six pays différents. «Je voulais voir les répercussions de cette migration sur les localités et sur les gens, souligne-t-elle. J’ai filmé et enregistré pour produire un documentaire afin de raconter ce qui s’était passé.»
Une bonne partie de son périple, Danièle Bélanger l’a passée en Grèce, puis en Macédoine. En Grèce, elle a visité le lieu où était situé le camp informel de réfugiés aménagé près du village d’Idomeni, juste à la frontière avec la Macédoine. Quelque 12 000 personnes étaient coincées dans ce camp lors de la fermeture de la frontière macédonienne, à la fin février 2016.
Des personnes ayant été près des réfugiés ont accepté de livrer un témoignage à la professeure Bélanger. Selon ces témoins, les migrants démontraient beaucoup de frustration. Ils ont dénoncé la gestion chaotique des autorités du pays d’accueil. Ils ont aussi commenté l’instrumentalisation politique de la situation en Hongrie. Dans ce pays, le gouvernement de droite a joué la carte de la peur de l’étranger, disant que le territoire était envahi, pour renforcer son pouvoir sur la population. Selon la chercheuse, ce gouvernement a une attitude radicale dans le dossier. La frontière est très surveillée. Aujourd’hui, de larges sections de la frontière hongroise sont bloquées par une imposante clôture de barbelés. «Les migrants, dit-elle, ont dénoncé une espèce d’improvisation dans le dossier, un sentiment de déshumanisation vis-à-vis la situation, au mépris d’obligations, comme celles de la Hongrie en tant que membre de l’Union européenne.»
Les témoins de la migration ont tous été fortement marqués par les réfugiés. «Ils m’ont dit qu’ils n’auraient jamais pensé vivre quelque chose d’aussi exceptionnel, explique Danièle Bélanger. Pour eux, ce phénomène migratoire relevait de l’Histoire. Ils ont vu beaucoup de désarroi chez les migrants, d’impuissance, mais aussi beaucoup de résilience. Les réfugiés et les habitants des pays qu’ils traversaient ont fait preuve d’organisation, de prise en charge, même si c’était souvent désordonné.»
Les travailleurs humanitaires, eux, ont fait preuve de constance. «Ils sont demeurés très actifs et très engagés depuis la fermeture des frontières, indique la professeure Bélanger. Ils ont, entre autres, continué à s’occuper de l’éducation des enfants dans les camps et à faire pression pour le respect des droits des réfugiés.»
Parmi les experts universitaires rencontrés par Danièle Bélanger, plusieurs se sont sentis tellement interpellés par la situation qu’ils se sont impliqués à titre personnel en dehors de leur travail de chercheurs. «Ils ont eu envie de documenter cette page de l’Histoire, affirme-t-elle. Certains ont transporté des migrants dans leur véhicule personnel sur des segments de la route. À Munich, une chercheuse allemande arabophone a offert ses services comme interprète auprès des réfugiés le soir et les fins de semaine pendant plusieurs mois.»
Ces photos de Georgios Katsagelos, professeur à l’Université Aristote de Thessalonique et photographe professionnel, montrent la vie de migrants à la frontière nord de la Grèce en 2016, au camp informel situé près d’Idomeni. Pendant plusieurs mois, Georgios Katsagelos a pris des photos afin de documenter la crise humanitaire qui s’y déroulait. Cet été, il a fait visiter les lieux à Danièle Bélanger.

Une image typique de femmes, qui transportent leurs effets personnels et leurs enfants, en route vers la frontière. Photo: Georgios Katsagelos

Une mère réfugiée avec son enfant manifeste devant les policiers grecs qui tentent d’empêcher le blocage du chemin de fer. Photo: Georgios Katsagelos


