
Le précieux spectromètre imageur, qui fait 2 mètres de haut, est doté d'un miroir dont le déplacement, assisté par des faisceaux laser, est de l'ordre du millionième de millimètre.
— ABB
Cet instrument est un «spectromètre imageur à transformée de Fourier pour l'étude en long en large de raies d'émission», que les chercheurs ont poétiquement nommé SITELLE. Une première version de cet appareil avait été réalisée au milieu de la décennie 2000 par Frédéric Grandmont, ingénieur-physicien chez ABB, alors qu'il était doctorant dans l'équipe de Laurent Drissen. «L'instrument avait été pensé pour l'Observatoire du mont Mégantic, mais, vu son potentiel, nous avons eu l'idée de l'adapter pour de grands télescopes», explique le professeur Drissen. Grâce à une subvention obtenue en 2009 des gouvernements fédéral et provincial par l'intermédiaire du programme de la Fondation canadienne pour l'innovation, nous avons pu entreprendre le développement d'une version du spectromètre imageur destinée au Télescope Canada-France-Hawaï.»
SITELLE ne permet pas d'obtenir des données qui sont inaccessibles aux autres instruments d'observation, mais il permet de les collecter beaucoup plus efficacement. Par exemple, un astronome qui étudie la composition d'une galaxie procède normalement en prenant le spectre d'une section qui peut représenter à peine 1% de l'ensemble. Il répète ensuite l'exercice de façon à couvrir toute la galaxie. SITELLE permet d'obtenir l'image et le spectre de l'ensemble de l'objet en une seule étape et il génère un spectre pour chacun des 4,2 millions de pixels que contient chaque image qu'il produit. «L'autre avantage par rapport aux instruments existants est qu'il permet d'aller chercher des champs d'observation très larges», précise le professeur Drissen.
Le précieux spectromètre imageur, dont la valeur est estimée à 4 M$, sera expédié à Hawaï d'ici trois semaines dans un caisson antivibrations. «Il reste quelques détails à régler, mais c'est pratiquement terminé, assure le chercheur. Pour simuler les conditions qui règnent au sommet du Mauna Kea, la montagne de 4 200 mètres où est installé le Télescope Canada-France-Hawaï, nous avons même fait des tests à une température de -10 degrés Celsius dans un laboratoire réfrigéré du Département de génie civil et de génie des eaux.»
Laurent Drissen se rendra à Hawaï au début de juin pour réaliser les premiers essais de l'instrument sur le terrain. «Je vais en profiter pour collecter des données pour mes propres travaux sur la composition chimique des galaxies», glisse le chercheur, qui avoue avoir été très pris par la supervision de SITELLE au cours des dernières années. «Par la suite, je veux convaincre d'autres astronomes du potentiel de l'instrument afin qu'ils l'utilisent. En 2013, une quarantaine de chercheurs ont participé à un atelier que nous avions organisé pour présenter le type de science qu'on peut faire avec SITELLE.»
Si l'instrument installé à Hawaï est à la hauteur des attentes, d'autres grands observatoires astronomiques pourraient frapper à la porte d'ABB pour se doter, eux aussi, d'un outil similaire. «On espère que ce sera le cas, mais on parle ici d'un très petit marché, souligne le professeur Drissen. Par contre, les avancées technologiques réalisées par l'équipe d'ABB dans le cadre de SITELLE auront des retombées sur les autres projets de l'entreprise.»
SITELLE est le produit d'une collaboration de longue date entre l'Université Laval et ABB. «Avec ses 2 mètres de haut, pesant plus de 400 kg et muni de lentilles de la taille d'une assiette, SITELLE sera le plus imposant et le plus ambitieux des spectromètres imageurs à transformée de Fourier jamais construits et le plus performant du genre en astronomie», estime Marc Corriveau, directeur général de l'unité d'affaires Mesure et Analyse d'ABB à Québec. Au total, une cinquantaine de personnes de l'Université Laval, de la firme ABB, du Télescope Canada-France-Hawaï et de l'Université de Montréal, partenaire de l'Université Laval au sein du Centre de recherche en astrophysique du Québec, ont collaboré à la réalisation de SITELLE. «L'apport de Simon Thibault et de Denis Brousseau, du Département de physique, de génie physique et d'optique, de Frédéric Grandmont et de Julie Mandar, d'ABB, et de mes étudiants-chercheurs a été crucial», souligne Laurent Drissen.