
— Marc Robitaille
Transgresser le code
Au début, il y a bien sûr Saint-Élie-de-Caxton, village natal de Fred Pellerin où l’homme a fait ses premiers pas comme guide touristique. Nourri des histoires des vieux du village, puisant dans «son passé d’oreilles», Fred promène les touristes au volant d’un tracteur auquel on a ajouté des sièges d’autobus. Sa réputation de conteur dépasse bientôt les frontières de sa région. «On va prendre la visite guidée, mais pas le village», lui proposent certaines personnes. À partir des personnages qu’il a créés, Pellerin donne des spectacles dans les écoles secondaires devant des ados, un public exigeant, mais qui a l’avantage de donner l’heure juste. «Si c’est plate, si t’as à te casser la gueule, tu vas le savoir assez vite, t’as pas besoin de rester à coucher», dit-il. Un jour, un éditeur lui demande s’il a le goût d’écrire un livre. Et c’est parti.
Dans mon village, il y a belle Lurette, Il faut prendre le taureau par les contes, Bois du thé fort, tu vas pisser drette: à eux seuls, ces titres évoquent de quelle poésie se chauffe Fred Pellerin. Il y a aussi le film Babine et ses personnages colorés comme Toussaint Brodeur et Méo le coiffeur qui «maganne» la tête de ses clients parce que toujours pompette. «J’ai actuellement quatre films en projet dans mon ordinateur», signale Fred Pellerin au passage, avant d’enchaîner avec son expérience de conte symphonique, «Une tuque en mousse de nombril», mis en musique par l’Orchestre symphonique de Montréal et où son chef Kent Nagano a dû attacher sa tuque pour coordonner sa partition avec la folle improvisation – un peu contrôlée pour l’occasion, tout de même – du conteur sur scène. En France, où sa popularité ne cesse de grandir, l’homme parle la même langue colorée qu’au Québec, à quelques exceptions près. «Une bécosse sur les Champs-Élysées, ils pensent que c’est un oiseau. Eux, ils disent chiotte. Je les amène à mes bécosses plutôt que d’aller à leurs chiottes.»
Interrogé sur son rapport avec la langue française, que d’aucuns l’accusent de maltraiter allégrement, Fred Pellerin répond que «pour transgresser le code, il faut le connaître». En d’autres termes, on peut jouer avec la langue à condition d’en bien connaître la grammaire, au propre comme au figuré. «Le latin, c’est fini, c’est classé, affirme-t-il. Par contre, la langue française est une langue vivante, en mouvance, devant laquelle on peut se positionner. Est-ce que je parle québécois? Est-ce que je parle français? Je pense que je parle différemment.»