Viendra un temps où le revenu de citoyenneté sera intégré aux mentalités comme le sont aujourd’hui les allocations familiales et le mal nommé «bien-être social». De fait, le revenu de citoyenneté n’est que l’extension universelle de droits en émergence que les sociétés de consommation et spéculatives ne peuvent plus assumer face à une fracturation sociale croissante, de toute façon fatale à terme. Droit à l’eau, droit à la santé, droit au logement... droit au revenu de citoyenneté, article 2 de la nouvelle Charte des droits humains en élaboration à l’ONU.
Reprenons, dans le contexte du Québec, les objectifs d’un revenu de citoyenneté universel au-dessus du seuil de pauvreté exposés dans le Manifeste de Michel Bernard et de Michel Chartrand: la pauvreté zéro; l’éradication de la misère pour deux millions de Québécois; le respect de la personne; l’aide aux parents; l’agrandissement du champ de liberté pour les femmes; le libre choix pour la première génération de jeunes de leur formation, métier et travail; un nouvel argument de négociation pour les travailleurs et les travailleuses; un frein à l’exode des municipalités dévitalisées; une impulsion immédiate et continue sur l’économie de marché conventionnelle.
Il n’y a pas si longtemps, Chartrand sillonnait le Québec en emplissant les salles avec toujours une forte adhésion des citoyens à cette politique. Quelques années auparavant, à l’automne 1998, il avait obtenu 14 % des voix contre le premier ministre Lucien Bouchard au Saguenay sur ce programme en exergue, à l’âge vénérable de 82 ans. Depuis, une chape de plomb s’abat sur la question sauf dans certains cercles internationaux animés de par le monde depuis plus de quinze ans par le B.I.E.N. (Basic Income Earth Network, ou Réseau mondial pour un revenu garanti).
Nous avançons ici un autre argument en faveur du revenu de citoyenneté dans le contexte des catastrophes naturelles. Pensons au Tsunami, à Katrina et aujourd’hui à Haïti. Lorsque toutes les infrastructures économiques, gouvernementales et sociales sont à terre, l’origine sociale n’est plus discriminatoire. Dans de telles catastrophes, la mise en place d’un revenu de citoyenneté pourrait se faire par l’entremise de la Banque mondiale. Cette institution a la capacité de transférer des fonds pour rejoindre des comptes bancaires personnels dont le montant des allocations serait ajusté au-dessus du seuil de pauvreté national et pondéré selon les personnes à charge. La technologie le permet tout en évitant les malversations. Cela donnerait une nouvelle crédibilité à l’institution dont la logique de mondialisation ne fait qu’enfoncer sous la dette les États en voie de sous-développement.
Ce faisant, des fonds collectés, publics et privés, pourraient être attribués directement aux sinistrés en court-circuitant les transferts de centaines de millions de dons et de subventions qui n’arrivent jamais directement aux sans rien. Eux, les premiers, connaissent les urgences de survie pour sortir de ce no man’s land. Plus de délai, plus de passe-droit, plus de détournement entre les donneurs et les ayant rien. Par les mêmes transferts, il serait possible d’amorcer le développement d’une économie ouverte sur le microcrédit qui a déjà fait ses preuves en d'autres lieux. Il s’agit de mettre l’économie au service de l’humanité. À chaque catastrophe, on voit les remous des requins affairistes frayer pour faire la pièce quand ce ne sont pas des sectes qui s’agitent pour mobiliser des désespérés; de grands imbéciles pour reprendre le titre d’un brûlot éclairé du regretté Pierre Vadeboncœur.
Roosevelt l’avait déjà exprimé: «Il est tout aussi dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé.» Au lendemain de la victoire du républicain dans le Massachusetts, le président Barack Obama ne constatait-il pas tout aussi lucidement: «Il s’agit d’une victoire majeure pour les grandes compagnies pétrolières, les banques de Wall Street, les sociétés d’assurance maladie et tous les intérêts puissants qui œuvrent chaque jour à Washington pour retirer toute voix au peuple américain.» Il en est de même pour le peuple haïtien. Lors d’une récente visite de la Maison des esclaves à l’île de Gorée, le principal comptoir français d’esclaves de l’Afrique de l’Ouest, le guide soulignait avec clairvoyance qu’au 20e siècle, l’esclavagisme avait simplement changé de forme et non de nature.
On estime à quelques dollars par jour le revenu de centaines de millions de personnes dans le monde. Selon le critère retenu (accès à l’eau potable, analphabétisme, pauvreté, santé, etc.), un milliard d’êtres humains vivent dans un état de dépendance extrême. Or, l’OCDE évalue à 11 400 milliards de dollars le sauvetage des banques, soit 1 676 dollars par être humain. La résistance au revenu de citoyenneté n’est pas d’ordre économique mais éthique. Doit-on rémunérer une personne hors du circuit de l’organisation, de la production technétronique et du marché spéculatif? L’être humain deviendra-t-il une nuisance dans l’ordre mondial au 21e siècle?
1 - Le Basic Income Earth Network Canada organise une conférence à l’Université de Montréal les 15 et 16 avril prochains.
ALAIN MASSOT
Professeur associé
Faculté des sciences de l’éducation