
— Marc Robitaille
Le Professeur Bernard Arcand a été emporté par un cancer du poumon à l'âge de 63 ans, le 30 janvier dernier. A mes yeux, l'anthropologue Bernard Arcand représentait un modèle assez unique de professeur d'université: à la fois savant mais accessible, immensément cultivé mais réservé, passionné et rigoureux, exigeant envers les autres mais aussi envers lui-même. Son esprit vif, sa présence assidue dans les médias, le succès populaire de ses livres et son dynamisme contagieux étaient tels que plusieurs observateurs auraient pu croire qu'il était professeur à l'UQAM.
Ethnologue, grand voyageur, spécialiste du film anthropologique, Bernard Arcand fréquentait volontiers des chemins éloignés de sa propre discipline; il avait souvent l'impression que le savoir anthropologique n'était pas suffisamment mis à profit dans la société et la vie publique. Inversement, l'universitaire n'hésitait pas à descendre de sa "tour d'ivoire" pour aller vers le grand public et "donner du sens" aux faits de société: à la radio, parfois à la télévision, et principalement par ses livres. Il publia en 1991 son ouvrage le plus important, Le Jaguar et le Tamanoir, sur le phénomène de la pornographie, ce qui lui vaudra le prix du Gouverneur général. Par la suite, il rédigera un pamphlet méconnu sur notre résistance collective à la saison froide, sous le titre Abolissons l'hiver!, paru en 1999.
Brillant communicateur et vulgarisateur, Bernard Arcand a réussi à rendre compréhensibles les manifestations les plus insolites des cultures venues d'ailleurs, mais aussi, en se distanciant, il a su regarder notre société québécoise comme si elle eût été étrangère. Ainsi, son analyse pénétrante des lieux communs qu'il a conduite durant des années avec son collègue, ami — et ancien thésard — Serge Bouchard illustre cette approche dérivée de l'anthropologie sociale voulant donner une signification plus profonde aux routines de la vie quotidienne.
En réalité, Bernard Arcand et Serge Bouchard ont popularisé une forme d'anthropologie du quotidien québécois. Leurs dialogues en public, leurs chroniques et leurs livres voulaient montrer l'étrangeté des choses les plus banales (comme les accents, le pâté chinois, les pelouses vertes, les cow-boys, le baseball au Québec). Ce faisant, leurs exposés devenaient implicitement une "défense et illustration" de la pensée anthropologique. La clé de leur réussite était fort simple: beaucoup d'exemples et de démonstrations lumineuses, une abondance de références culturelles appropriées, une bonne dose de comparaisons inattendues, tout en évacuant le jargon superflu.
Comme beaucoup de chercheurs en sciences sociales, Bernard Arcand s'était passionné pour le débat sur les accommodements raisonnables; il a participé avec intérêt aux célébrations du 400e anniversaire de Québec. Bernard Arcand savait faire preuve d'une rare curiosité scientifique, même après sa retraite de la vie universitaire, après avoir enseigné durant une trentaine d'années: d'abord au Danemark, à l'Université McGill, puis durant vingt-cinq années au Département d'anthropologie de l'Université Laval. Il aura formé plusieurs générations d'étudiants ; on peut croire qu'il avait encore beaucoup à dire et — comme il l'aurait lui-même reconnu — beaucoup à apprendre.
Yves Laberge, Ph.D.
Sociologue et ancien chargé de cours
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Les leçons d’une élection
«Il n’est pas jamais trop tard pour bien faire», dit le dicton. Dans le cas d’espèce, il convient plutôt de dire qu’il ne sera jamais trop tard pour écrire sur….Obama! Pour garder toute ma lucidité et surtout pour éviter de revivre l’expérience des espoirs déçus, j’ai évité du mieux que j’ai pu de m’exposer à la machine politique et médiatique mise en branle par les partisans d’Obama portée en écho par les médias du monde entier. Mais les faits restent ce qu’ils sont, Barack Hussein Obama, métis de son état, de père musulman est aujourd’hui le président des États-Unis.
Si cette élection est somme toute extraordinaire, il reste que la réflexion se trouve ailleurs et les questions aussi. D’ailleurs, je me suis demandé pourquoi une telle éventualité ne s’est pas produite avec Martin Luther King qui s’est contenté de faire un rêve «historique»? Il en avait pourtant la carrure. Je me dis aussi que le pasteur Jesse Jackson, avec tout le crédit dont il bénéficie auprès de la population américaine toutes catégories raciales confondues, aurait bien pu devenir le premier président véritablement noir des États-Unis ? Des exemples de ce genre, on en trouvera à la pelle. Mais la question fondamentale à mon sens c’est: comment un individu avec autant de caractéristiques perçues négativement (un métis marié à une noire ayant un nom à consonance musulmane et foncièrement africain) a-t-il pu crever le plafond de verre suspendu comme une épée de Damoclès sur les têtes de ses pairs? Comment ceci a-t-il pu se produire après que les maîtres à penser de Bush ont théorisé «le choc des civilisations»? Comment est ce possible alors qu’on a tenté de nous faire croire, qu’après le 11 septembre, la géopolitique mondiale est entrée dans un nouveau paradigme? Comment est ce possible dans un contexte mondial marqué par une islamophobie latente pour ne pas dire réelle entretenue par l’administration Bush?
À mon sens, une des lectures qu’il faudrait faire de l’élection d’Obama c’est qu’elle traduit, avant tout, une volonté et un désir manifeste, de la part des Américains, de changer d’époque après huit années de haine entretenue, d’insécurité et de guerre quasi-permanente d’autant plus que la stratégie de l’administration Bush a abouti à un vrai fiasco économique, politique et j’en passe. Par conséquent, ce n’est pas tant le symbolisme entourant l’élection d’Obama qui devrait retenir le plus l’attention mais le fait que l’Amérique souhaite se réconcilier avec elle-même et avec le monde. Si ces constats ne concernent que le contexte strictement américain, force est de constater que la réaction de la communauté internationale suite à l’élection d’Obama suscite des commentaires tout aussi fondamentaux.
La vague de sympathie autour de la personne d’Obama traduit également un cri du cœur en faveur d’un dépassement des clivages raciaux et religieux savamment (et longuement) entretenus par des groupes occultes. De ce fait, il faut dire que par delà le caractère historique de l’élection d’Obama, la mobilisation historique de son investiture suivie par des millions d’individus à travers le monde est un signe des temps. Cette mosaïque humaine applaudissant l’élection d’un «homme de couleur» (au fait qui ne l’est pas à proprement parler) est la preuve que le monde veut négocier un virage qui va incontestablement le mener vers un monde débarrassé de ces distinctions grotesques fondées sur la race, la religion, l’origine sociale, le sexe. À y regarder de plus près, ce dépassement est à mon sens la suite logique découlant des effets de la mondialisation. Le «concept de village planétaire» n’est pas un concept creux : c’est la réalité. Le monde est réellement devenu un village et ce, en dépit de la persistance des clivages raciaux, socio-économiques, etc. Était-il concevable il y a une trentaine d’années, qu’un individu au fin fond de l’Afrique puisse être capable de communiquer presque à temps réel avec un autre au fin fond de l’Australie? Nos cadres spatio-temporels ont été mis à mal par les TIC. Par ce fait même, nous avons la preuve que les notions d’«unité» et de «différence» ne sont pas antinomiques. Tout le sens qu’il faut accorder à l’élection d’Obama. Mes seules craintes résident dans l’opérationnalisation de son slogan de campagne «Yes, we can… change» si l’on sait la place occupée par l’industrie de la guerre dans le système économique américain.
NDÉYE FATY SARR
Étudiante au doctorat en sociologie