
Mélina Houle en compagnie d'un loup gris de quatre mois. Même si, à cet âge, les louveteaux sont déjà plus grands qu'un golden retriever, il est encore possible de les manipuler sans avoir recours à des narcotiques.
— Marc Guilbeault
L’étudiante-chercheuse en a fait la démonstration en suivant les déplacements de six meutes de loups pendant 18 mois. Ces meutes, composées de quatre à huit membres, fréquentaient soit le territoire de la réserve faunique des Laurentides ou celui du réservoir Manicouagan. Les données sur leurs déplacements ont été obtenues à l’aide de colliers GPS fixés sur douze d’entre eux; grâce au suivi satellitaire, une lecture de positionnement était faite à toutes les quatre heures sur chaque loup porteur d’un collier.
Si cette technologie permet de recueillir confortablement une masse de données beaucoup plus fiables que les méthodes utilisées antérieurement pour étudier les déplacements des loups — le suivi des pistes dans la neige ou la télémétrie —, un obstacle incontournable demeure: pour pouvoir poser un collier sur un loup, il faut d’abord le capturer. «C’est un animal tellement intelligent, constate Mélina Houle. C’est hallucinant toutes les précautions qu’il faut prendre autour des pièges pour éviter qu’il se doute de quelque chose. Lorsqu’il nous regarde, je ne sais pas comment expliquer ça au juste, mais il a quelque chose dans les yeux qui porte à croire qu’il comprend.» C’est grâce à la précieuse collaboration d’un technicien de la faune, expert en piégeage, Rolland Lemieux, que les chercheurs ont réussi à capturer de jeunes loups. «Les louveteaux sont beaucoup moins méfiants que les adultes et c’est eux qui se font prendre dans les pièges à pattes. On leur pose un collier GPS et ils nous servent ensuite d’espions pour localiser la meute.» En hiver, les chercheurs repèrent les meutes grâce aux jeunes et ils capturent des adultes à l’aide de filets projetés à partir d’un hélicoptère.
Des impacts changeants
L’étudiante-chercheuse a modélisé l’habitat du loup sur les deux territoires d’études en tenant compte de la topographie, de peuplements forestiers, des cours d’eau et de l’abondance de neige. Grâce aux milliers de données de positionnement obtenues par GPS, la table était mise pour déterminer de quelle façon la présence des chemins forestiers et des parterres de coupes influençait l’utilisation de l’espace par le loup. Ses analyses ont révélé qu’entre décembre et juin, lorsque les activités forestières étaient réduites, plus la densité de routes était élevée, plus la probabilité que les loups les utilisent était forte. En facilitant les déplacements des loups, les routes favoriseraient leur succès de chasse. Par contre, pendant l’été, lorsque les louveteaux commencent à suivre la meute, la fréquentation des routes diminue en fonction de leur densité dans le paysage.
Quant aux parterres de coupe, les loups les fréquentaient lorsque leur abondance était faible, mais ils les évitaient s’ils étaient abondants. «Lorsque le paysage devient trop fragmenté par l’abondance des coupes, la disponibilité du couvert forestier peut devenir insuffisante pour procurer la protection nécessaire aux proies, explique l’étudiante-chercheuse. Les secteurs seraient alors délaissés par l’orignal, et le loup aurait peu d'intérêt à utiliser ces parterres de coupes en régénération.»
Les effets cumulés des activités forestières peuvent donc avoir des conséquences considérables et changeantes sur l’utilisation du territoire par le loup ainsi qu’un impact sur la dynamique prédateur-proie. «Il faut tenir compte non seulement des effets individuels des routes et des coupes, mais aussi de leurs effets cumulés sur le loup, conclut Mélina Houle. Nous recommandons donc que dans les territoires forestiers sous aménagement intensif, les décisions de gestion de l'habitat du loup et des espèces qui lui sont liées tiennent compte des effets cumulés des structures anthropiques sur ces espèces.»