Enseignant en sciences infirmières et auteur du livre Louise Gareau, infirmière de combats, je ne peux demeurer silencieux dans le débat entourant l’annonce de l’attribution de l’Ordre du Canada au Dr Morgentaler. La question de l’avortement est peu banale et complexe. Que cette question soit soulevée en ce contexte où les intégrismes de toutes natures s’épanouissent, appelle la prise de parole. Il s’agit d’une question sensible pour les femmes puisqu’elle concerne directement leur santé et leur vie… la vie!
Depuis des siècles, les infirmières apportent soins et soutien pour que la vie s’épanouisse et s’éteigne dans la plus grande sérénité possible. Enseignant en sciences infirmières, j’applaudis à l’attribution de l’Ordre du Canada au Dr Morgentaler puisqu’elle constitue également une reconnaissance du travail de personnes soignantes, de plusieurs infirmières, ayant contribué à l’amélioration de la santé des femmes et populations en général.
En 1976, Yannick Villedieu estimait que l’avortement était un problème de santé capital pour les femmes et un excellent révélateur de la situation d’inégalité dans laquelle elles vivaient. En ces années, au Québec, de nombreuses personnes, dont des infirmières, se sont investies aux côtés du Dr Morgentaler pour que les femmes puissent, librement, choisir leur maternité ou, dignement, accéder à une interruption volontaire de grossesse.
En rédigeant l’ouvrage Louise Gareau, infirmière de combats, j’ai pu prendre la mesure du parcours d’une infirmière qui, conjointement avec le Dr Morgentaler, a œuvré pour les droits des femmes et leur santé. Les récits entendus m’ont fait ressentir la démesure de la souffrance de femmes confrontées à une grossesse non désirée résultant parfois d’une relation violente, incestueuse ou avec un homme ayant pris la poudre d’escampette. Parfois, le géniteur appartenait à un ordre religieux exerçant des pressions pour que le père tourne le dos à la femme déchirée. Louise Gareau a soigné ces femmes confrontées à une immense solitude. Cette infirmière valorisait l’expérience de la maternité, mais sa pratique l’a confronté au combat pour la reconnaissance du droit à l’avortement. Tout comme Morgentaler, elle ne souhaitait pas l’avortement pour personne, mais elle savait toutes les souffrances que vivaient ces femmes confrontées à un choix déchirant dans un univers qui les jugeait, les condamnait et qui ne leur offrait aucune alternative.
Dans une société pluraliste traversée par des valeurs contradictoires, l’option chrétienne ne rallie pas tous. Dans ce contexte, l’infirmière est appelée à côtoyer et à soulager la souffrance quelle que soit l’appartenance de la personne et il lui incombe d’adopter une posture de protectrice des droits et intérêts de l’être souffrant. La seule manière d’y parvenir est de considérer la personne, dans son humanité, en lui offrant l’espace pour exprimer librement ses désirs, volontés et croyances. L’infirmière est confrontée à ce que monseigneur Pierre Claverie définissait comme le rapport d’une croyance avec ce qui lui est extérieur: «On ne possède pas la vérité et j’ai besoin de la vérité des autres»… pour les soigner! Louise Gareau comme d’autres soignantes, en collaboration avec cet homme de grande humanité qu’est le Dr Morgentaler, ont pu offrir des soins libérateurs. Des soins contribuant à l’épanouissement de la personne et de son pouvoir d’exister malgré les handicaps et difficultés rencontrées sur son parcours de vie.
Je conclurai ce texte en empruntant les mots que le Dr Morgentaler a écrits pour Louise Gareau. Je les adresse à cet homme empreint d’un humanisme indispensable à la dispensation de soins accessibles aux gens de toutes croyances. S’il y avait sur cette terre plus de Morgentaler, plus de gens aptes à poser des actes réfléchis empreints de profondes valeurs d’humanité, le risque que notre monde meurt par trop d’obéissance serait presque nul.
La reconnaissance que l’État canadien offre au Dr Morgentaler est signe d’une société en santé. À juste titre, Charles Taylor estime que «la nature d’une société libre repose sur le fait qu’elle sera toujours le théâtre d’un conflit entre les formes élevées et les formes basses de la liberté. On ne peut abolir ni l’une ni l’autre, mais on peut en déplacer la ligne de partage…».
BERNARD ROY
Professeur à la Faculté des sciences infirmières