Dans une lettre publiée dans Le Soleil (12 mars), M. Jean Leclerc, président du conseil de la Société du 400e anniversaire de Québec, s’emploie à faire changer la perception selon laquelle les fêtes du 400e ne feraient aucune place à l’histoire. Je laisse à chacun le soin de juger si, effectivement, la dimension historique a été suffisamment prise en compte. Une chose demeure toutefois évidente: la langue que nous parlons n’est célébrée nulle part. On aime bien dire que les Québécois sont attachés à leur langue, mais on dirait qu’on manque de conviction pour fêter les 400 ans de l’implantation du français au Québec, ici même, dans notre ville.
J’ai cependant pu mesurer l’intérêt que suscite l’histoire de notre français à l’occasion d’une conférence que j’ai présentée le 4 mars dans le cadre des activités de l’Université du 3e âge de Québec (UTAQ). Ils étaient 400 à m’écouter, comme si on avait voulu représenter par un auditeur chacune des années de l’histoire du français dans la cité de Champlain. Le sujet traité? «Le français québécois: patrimoine ou handicap?» Les étudiants de l’UTAQ, c’est bien connu, sont un public en or. Je le savais. Mais tout de même, j’ai été impressionné par l’enthousiasme qu’ont suscité mes propos.
J’ai insisté sur le fait que notre langue est constituée d’objets culturels (les mots, les expressions, les prononciations), bien plus dynamiques que les objets matériels puisqu’ils demeurent vivants. Ils nous racontent tous les jours l’histoire de notre culture, pour autant qu’on leur prête un peu d’attention. Même une simple interjection comme envoye!, invitant à l’action (Envoye, viens!), est un témoignage sur la façon dont s’est forgée notre identité à une époque où le parler des marins influençait l’usage général.
Il n’y a pas qu’à l’UTAQ qu’on s’est préoccupé de la dimension patrimoniale du 400e anniversaire de notre français. Il y a aussi le Centre interdisciplinaire de recherches sur les activités langagières qui a organisé une série de conférences sur le thème «Un patrimoine façonné par l’histoire», en collaboration avec le Musée de l’Amérique française. Mais on se désole de ne rien trouver, dans les activités officielles de l’Université Laval pour le 400e, qui soulignerait la valeur patrimoniale de notre langue. Pourtant, le français québécois est l’un des grands domaines dans lequel notre Université s’est illustrée depuis la fondation de la Société du parler français au Canada, en 1902.
Comment est-il possible qu’on en arrive, un siècle plus tard, à cette indifférence, surtout quand on fête ses 400 ans d’existence? Il y a, à mon avis, deux raisons. D’abord, le déclin des sciences du langage. Partout dans les universités du Québec, on est en train de laisser mourir les disciplines liées à la linguistique et à la langue. La situation à l’UQAM et à l’Université de Sherbrooke est encore pire qu’à Laval, ce qui est peu dire. Dépassées par des situations budgétaires difficiles, faute d’un financement public adéquat, les administrations favorisent les sciences exactes et la technologie, qui sont bien subventionnées. Il n’y a plus personne qui parle en notre faveur en haut lieu. Et nous n’avons plus le temps de défendre nous-mêmes notre cause.
Est-ce que la communauté universitaire est consciente que, dans notre Département de langues, linguistique et traduction, dont les effectifs professoraux ont fondu de moitié au cours de la dernière décennie malgré l’augmentation des effectifs étudiants, il ne se trouve plus un seul professeur pour parler de l’ancien français? Si rien n’est fait, on assistera bientôt au départ à la retraite du dernier spécialiste en français québécois dans la «première université francophone en Amérique», selon la formulation du communiqué annonçant les activités officielles de l’Université pour 2008.
La seconde raison est plus difficile à expliquer, mais c’est la principale. Les Québécois, même les plus instruits, n’ont qu’une connaissance limitée de leur patrimoine linguistique. Ils aiment leur langue, mais ils ne savent pas pourquoi. Les Français ont un passé de grands auteurs, mais nous? Notre conscience linguistique a été façonnée par plus d’un siècle et demi de manuels correctifs, de préjugés et d’explications fantaisistes sur la provenance de nos façons de parler. Pourquoi s’intéresser à son héritage si on n’y voit qu’un ramassis de fautes? Cela explique que la dictée soit si réputée dans notre imaginaire collectif: c’est à qui évitera le plus d’erreurs. Je ne reprocherai pas aux responsables de l’organisation des fêtes du 400e d’en avoir fait une activité officielle, mais il faut bien voir que sa popularité tient en partie à notre vision négative de la langue dont la maîtrise est envisagée comme une véritable course à obstacles.
Quand j’explique à mes étudiants que la confusion des genres (par exemple unE autobus, unE avion) n’est pas liée à une dégénérescence de la langue chez nous, mais à une habitude de prononciation des 16e et 17e siècles que nous avons conservée plus longtemps qu’ailleurs, j’ai le sentiment de les décharger d’un fardeau. Bien sûr, il faut de nos jours apprendre le genre qui a été validé par les grammairiens, mais on peut le faire sans se déprécier pour autant. Les connaissances sur l’histoire de notre langue devraient être diffusées largement pour que les Québécois sachent qu’ils n’ont pas dilapidé l’héritage de départ, mais qu’ils l’ont au contraire bonifié pendant ces quatre cents ans. C’est la mission de l’Université d’éclairer la société sur cette question. L’anniversaire que nous célébrons est une occasion dont elle devrait profiter pour le faire officiellement.
CLAUDE POIRIER
Professeur titulaire,
Trésor de la langue française au Québec
www.tlfq.ulaval.ca
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Des ambassadeurs de premier plan
C'est avec grand plaisir que j'ai lu l'article paru dans le journal Au fil des événements, édition du 28 février 2008, au sujet de la nomination d'un diplômé de l'Université Laval, Pierre Boulanger, à la tête de la délégation générale du Québec à Londres. L'Université Laval a raison d'exprimer sa fierté, mais je tiens toutefois à souligner qu'elle a doublement raison d'être fière, puisque Pierre Boulanger a remplacé un autre diplômé de Laval à la tête de la délégation du Québec à Londres, en l'occurrence George MacLaren (Droit,1964) qui avait occupé avec distinction ce poste jusqu'à récemment. L'Université Laval semble tout particulièrement qualifiée pour former des ambassadeurs de premier plan pour le Québec! Serait-ce le début d'une nouvelle tradition?
MICHAEL A. MEIGHEN
Sénateur, c.r. (Droit 1963)