
Selon Michèle Audette, l’Université Laval a une sensibilité aux peuples autochtones, un désir de s’ouvrir sur cette diversité et une volonté d’inclusion et de collaboration avec eux.
— Louise Leblanc
Dans la culture traditionnelle innue, le shaputuan désigne la grande tente de rassemblement. Pour la militante bien connue de la cause autochtone, Michèle Audette, le shaputuan est un espace de vie dans lequel elle retrouve son identité, sa culture, son ouverture sur le monde.
«Mes rencontres avec la rectrice Sophie D’Amours et le vice-recteur Robert Beauregard ont été empreintes de respect, explique-t-elle. Le féminisme inclusif que je chéris et défends, je l’ai vu devant moi avec ces deux personnes fortes travaillant ensemble. De plus, voir une femme à la tête d’un grand établissement m’a charmée. Nos pensées se sont rejointes. De savoir que l’Université Laval a cette sensibilité aux peuples autochtones, ce désir de s’ouvrir sur cette diversité et cette volonté d’inclusion et de collaboration avec eux, je me suis dit, à propos de cette université: Voilà mon nouveau shaputuan.»
Michèle Audette a fait son entrée à l’Université Laval à la mi-octobre. Adjointe au vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes, Robert Beauregard, elle occupe le poste de conseillère principale à la réconciliation et à l’éducation autochtone. La création de ce poste s’inscrit dans la planification stratégique 2017-2022 de l’Université. Dans le cours de son mandat, la nouvelle adjointe conseillera la direction. Tout en consolidant ce qui se fait déjà, elle contribuera à la conclusion d’ententes de collaboration avec les communautés autochtones, ainsi qu’à la conception de formations nouvelles. Elle prêtera aussi son concours à la réussite des étudiants autochtones inscrits à l’Université.
Il existe une réalité autochtone depuis plusieurs années à l’Université Laval. Pensons à la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée, aux stages en milieu autochtone pour les finissants en enseignement primaire ou à la longue collaboration de l’École d’architecture avec les Innus de la Côte-Nord. «Il y a plein de choses, soutient-elle, mais c’est comme les morceaux de tissu d’une courtepointe qui n’ont pas encore été cousus ensemble. Une de mes tâches consistera à réunir dans un tout cohérent les différents éléments de la réalité autochtone du campus.»
Durant son mandat, Michèle Audette travaillera aussi à la réconciliation. «Je suis enthousiaste, dit-elle, à l’idée de côtoyer sur le campus les leaders québécois de demain pour pouvoir les sensibiliser à la réalité autochtone. La reconnaissance des peuples premiers ne peut être que bénéfique pour tous.»
Sur sa nouvelle vie qui commence, cette femme souriante, expressive et spontanée, qui se définit comme «une grande amoureuse des causes sociales et des gens autour de moi», s’exclamera: «Si vous saviez comme je suis contente!»
Plume d’aigle, gobelet de cuivre et mocassins
Le matin de l’entrevue avec ULaval nouvelles, Michèle Audette poursuivait son installation dans un local du pavillon Alphonse-Desjardins. Plusieurs objets décoratifs étaient bien en vue, notamment une plume d’aigle, un gobelet de cuivre et des mocassins.
«Ces petits objets, que j’ai reçus à différents moments de ma vie, ont une place importante dans mon espace physique et spirituel, souligne-t-elle. Quelques-uns favorisent la guérison, d’autres sont un signe de respect, certains représentent la réciprocité entre deux personnes ou l’interdépendance dans le cercle de la vie.»
Selon elle, Il est très rare de recevoir une plume d’aigle. «Ce geste, précise-t-elle, est accompagné d’une grande responsabilité. La responsabilité qui m’a été donnée est celle d’utiliser ma voix pour éduquer, sensibiliser et rapprocher nos grandes nations, autochtones et non-autochtones. J’aime cette responsabilité!»
Au sujet du gobelet de cuivre, elle dira que dans les cultures autochtones, les femmes sont les gardiennes de l’eau et que cet objet est utilisé lors des cérémonies. «Quant aux mocassins, poursuit-elle, ils sont là pour me rappeler que je marche avec mes deux cultures, québécoise par mon père et amérindienne par ma mère. En plus, ils sont tellement beaux!»
Sa double identité, elle la voit comme un cadeau, non comme un choix à faire. «J’ai le devoir d’apprendre sur les deux cultures, affirme-t-elle. Je vois mon rôle comme une intermédiaire entre les deux mondes.»
Née à Wabush, au Labrador, Michèle Audette éprouve une fierté particulière pour ses racines amérindiennes. Cet amour des Innus, elle le partage notamment avec l’anthropologue Serge Bouchard, qui a publié un livre sur le sujet en 2017, Le peuple rieur: hommage à mes amis innus.
«Je connais bien Serge Bouchard, explique-t-elle. Nous avons collaboré à quelques reprises. Nous nous retrouvons dans les mêmes chemins. Rieur, mon peuple est aussi muni d’une grande patience, d’une grande générosité et d’une grande résilience. Il possède aussi une grande capacité à pardonner.»
Ce sentiment de fierté, elle l’a ressenti le dimanche 27 octobre en voyant le chanteur innu Florent Vollant remporter un Félix dans la nouvelle catégorie Artiste autochtone de l’année, lors du Gala de l’ADISQ. Le récipiendaire, anciennement du duo country folk Kashtin, avait déclaré: «Nous ne sommes pas ici parce qu’on est autochtones, mais parce qu’on est bons.» «J’ai des frissons en répétant cette phrase», mentionne-t-elle.
Dans la sphère politique
En 1998, à l’âge de 27 ans, Michèle Audette est propulsée dans la sphère politique en devenant présidente de l’organisme Femmes autochtones du Québec. Alors étudiante à l’Université Concordia, à Montréal, elle finit par laisser tomber ses études pour se consacrer entièrement à cette cause. «J’étais inscrite au baccalauréat en Art Education, raconte-t-elle. J’avais comme objectif l’enseignement des arts. Ce monde est important pour moi. Je vois les artistes comme les gardiens de la mémoire collective.»
Par la suite, Michèle Audette a occupé la fonction de sous-ministre associée à la condition féminine au gouvernement du Québec. Elle a ensuite présidé l’Association des femmes autochtones du Canada. Au fil des ans, par un travail incessant, elle a contribué à faire avancer la cause des femmes et des familles autochtones en territoire canadien. Puis survint, en 2016, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. D’une durée de 33 mois, l’enquête a permis aux cinq commissaires, dont Michèle Audette, d’entendre les témoignages de 1484 survivantes et membres de familles.
Pour la militante, la création de cette commission d’enquête a été un rendez-vous avec l’histoire. Selon elle, il s’agissait d’«une première occasion pancanadienne de rassembler, de comprendre et de développer la connaissance sur la violence persistante envers les femmes et filles autochtones». Le rapport final, maintenant terminé, contient 231 appels à la justice.
«Les femmes qui ont témoigné ont beaucoup d’espoir, maintenant que quelque chose se passe, indique Michèle Audette. De grands changements doivent se faire à tous les niveaux. J’ai espoir parce qu’on vient de donner un outil juridique à ce mouvement de femmes qui, par leur force et leur mobilisation, est à l’origine de cette enquête.»
Lorsqu’elle pense aux survivantes, elle pleure encore. «C’est dur, dit-elle. Cette expérience majeure et complexe a marqué tous mes collègues et me marquera pour le restant de mes jours. Je me sens encore témoin de ces grandes tragédies. Ces personnes nous ont enseigné la force, le courage, la résilience, le pardon. C’est ce que je retiens. Quand je suis insécure ou nerveuse, j’ai juste à puiser dans mes souvenirs de ces témoignages pour me redonner espoir et force. Ces personnes sont des mentors. Certaines sont devenues des amies.»
Dans 15 ou 20 ans, où vous voyez-vous? «Je serai sur une chaise en train de me bercer en pensant à mes enfants et à mes petits-enfants, répond-elle avec un sourire en coin. Après cette journée de répit, je me vois repartir travailler à changer les lois, faire bouger les choses avec des gens qui veulent faire bouger des choses, qui ont la force de le faire dans un milieu favorable à ce changement.»