Ces universitaires n’adhèrent ni au nationalisme conservateur, ni à une laïcité à tout crin, deux tendances en nette croissance au Québec, selon eux. «On assiste depuis quelques mois à une alliance qui semblait plutôt improbable entre des groupes qui veulent refouler le religieux hors de la sphère publique et des nationalistes conservateurs qui voient le Québec d’aujourd'hui comme ayant trop concédé à la diversité culturelle», constate Jocelyn Maclure, qui est spécialiste en éthique et en philosophie politique. Selon lui, les coalitions en faveur d’une charte de la laïcité et les groupes qui militent pour la liberté en éducation et qui refusent le nouveau programme d’éthique et de culture religieuse prennent de plus en plus d’espace. D’autant plus, souligne Jocelyn Maclure, que des chroniqueurs très influents comme Richard Martineau, Joseph Facal ou Jean-François Lisée relaient le discours nationaliste conservateur.
Le pluralisme serait donc en recul dans le débat public, car cette vision d’une laïcité ouverte, où l’on tente de se rapprocher des minorités plutôt que de les segmenter, aurait moins la faveur des partis politiques. Même le Parti québécois flirte parfois avec les tendances plus conservatrices selon Jocelyn Maclure, qui cite en exemple la sortie publique de Pierre Curzi qui remettait en question le programme d’éthique et de culture religieuse. «Il faut savoir que la chercheuse Joëlle Quérin qui a critiqué le cours appartenait à un institut de recherche qui est un think tank défendant les positions nationalistes», souligne le philosophe. Les auteurs du manifeste ne se montrent pas plus tendres envers le Parti libéral qui, selon eux, ne fait pas preuve d’un grand courage politique en la matière, en laissant le rapport Bouchard-Taylor dormir sur une tablette.
Un héritage multipartite
Évoquant l’héritage laissé aussi bien par Gérald Godin et René Lévesque que Claude Ryan ou Robert Bourassa, les auteurs du Manifeste pour un Québec pluraliste invitent les élus et les citoyens à clarifier la notion de laïcité ouverte. Depuis la Révolution tranquille, le Québec a beaucoup évolué, tant en matière d’intégration des immigrants que dans les rapports que l’État entretient avec le religieux. Les partisans d’un Québec pluraliste considèrent, par exemple, qu’il ne faut pas interdire purement et simplement toute manifestation d’appartenance religieuse dans la sphère publique, car un tel geste aurait un effet discriminatoire. Par contre, ils font valoir qu’il est légitime de limiter les signes religieux dans les services publics. Pas question, par exemple, de permettre à une infirmière ou à une institutrice d’exercer sa fonction à visage voilé. De la même façon, les signataires n’adhèrent pas au multilatéralisme à la Trudeau, car ils visent un rapprochement des différentes composantes de la population plutôt qu’un modèle de société où différentes communautés vivent à côté les unes des autres sans se mélanger.
Aux yeux de Jocelyn Maclure, le Québec forme une nation et il faudrait investir davantage dans les programmes publics pour valoriser la diversité, en favorisant notamment la francisation des immigrants. L’acquisition d’une langue parlée par la majorité contribue selon lui au rapprochement interculturel. L’adhésion au Manifeste semble faire tache d’huile depuis sa publication. Le 16 février, son site Web (www.pourunquebecpluraliste.org) avait déjà recueilli plus de 835 signatures. On trouve parmi les signataires plusieurs professeurs de l’Université Laval, notamment Guy Laforest (science politique), Christian Brunelle (droit), Stéphanie Rousseau (sociologie) et Thomas de Koninck (philosophie).