Les spécialistes s'entendent sur le fait que les gouttelettes émises par une personne porteuse du SARS-CoV-2 sont le principal mode de transmission du virus. Par contre, la possibilité qu'il puisse aussi se propager par la voie d'aérosols suscite encore la controverse. «La question n'est pas uniquement théorique. Elle a une incidence sur les mesures qu'il faut adopter et sur l'équipement qu'il faut porter pour se protéger contre le virus», souligne Caroline Duchaine, professeure au Département de biochimie, de microbiologie et de bio-informatique de l'Université Laval et chercheuse au Centre de recherche de l'Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie.
La professeure Duchaine et Sophie Zhang, co-chef de centres de soins de longue durée au CIUSSS Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal, viennent de présenter, dans Clinical Microbiology Reviews, un modèle qui réconcilie les données portant sur ces deux modes de transmission et qui suggère des mesures de prévention conséquentes.
Rappelons que, par convention, les gouttelettes sont des particules dont le diamètre est supérieur à 5 microns alors que les particules plus petites sont considérées comme des aérosols. On estime que les gouttelettes voyagent rarement à plus de 2 mètres de leur source d'émission, d'où la distance minimale qu'il est recommandé de maintenir pour prévenir la propagation du virus. Les aérosols, quant à eux, demeurent en suspension dans l'air et peuvent voyager sur de longues distances.
«Il s'agit d'une dichotomie arbitraire, souligne la professeure Duchaine. Nous générons des particules dont la taille, la concentration en virus et le potentiel d'infectiosité se situent sur un continuum plutôt que d'être binaires. De plus, lorsqu'une personne éternue ou qu'elle se trouve dans un courant d'air, les gouttelettes qu'elle produit peuvent demeurer en suspension un certain temps et être transportées bien au-delà de 2 mètres. Pour s'en convaincre, il suffit de penser aux grains de pollen qui ont souvent un diamètre d'environ 200 microns et qui peuvent voyager très loin lorsqu'ils sont portés par le vent.»
Des faits nouveaux
En début de pandémie, la chercheuse ne croyait pas que le SARS-CoV-2 détecté dans les aérosols puisse infecter des personnes. Depuis, une étude montrant qu'il y avait accumulation de protéines virales dans des cultures faites à partir d'aérosols l'a incitée à revoir sa position. «Cela suggère que le virus survit à sa mise en aérosol et qu'il pourrait, en théorie, contaminer les personnes qui inhalent des aérosols dans lesquels il est présent, surtout si elles se trouvent dans un endroit clos et mal ventilé, explique-t-elle. Par contre, il n'existe pas encore de preuves cliniques ou épidémiologiques qui démontrent de façon convaincante que le virus puisse se transmettre par aérosols sur de longues distances.»
D'autres études ont aussi conduit les chercheuses à revoir la dichotomie gouttelettes/aérosols. «Les particules qui se rendent jusqu'aux alvéoles des poumons doivent avoir une taille inférieure à 4 microns, rappelle la professeure Duchaine. Mais, contrairement à d'autres virus respiratoires, le SARS-CoV-2 ne doit pas forcément se rendre aux alvéoles pour causer une infection. L'abondance des récepteurs auxquels il se fixe est maximale au niveau du nez. Les gouttelettes de petite taille ou de taille intermédiaire portées par l'air peuvent se rendre dans la cavité nasale et infecter une personne.»
Qu'est-ce qui se dégage de ces constats? «Le SARS-CoV-2 peut se transmettre par les gouttelettes conventionnelles, celles qui se déposent rapidement, et par les aérosols, peu importe leur taille, qui restent en suspension assez longtemps pour être inhalés. Quant aux aérosols de plus petite taille, leur faible concentration en virus et l'inactivation de ceux-ci au moment de la mise en aérosol ou peu de temps après expliqueraient pourquoi ils ne semblent pas constituer une voie de transmission importante», résume la professeure Duchaine.
Quelles sont les implications cliniques de ce modèle? «Dans les milieux où le risque de transmission est faible, comme dans les centres de soin de longue durée, la littérature scientifique suggère que le masque de procédure n'a pas une efficacité plus faible que les moyens de protection respiratoire. Il procure donc une protection suffisante, à condition que la ventilation soit adéquate, précise la chercheuse. Notre hypothèse est que le masque de procédure bloque les gouttelettes conventionnelles et celles qui se comportent comme des aérosols.»
Jusqu'à présent, la question de la circulation et du renouvellement de l'air a été peu considérée, constate la professeure Duchaine. «Cette composante est pourtant fondamentale pour éviter qu'il y ait accumulation d'aérosols de toute taille dans une pièce où se trouve un patient infecté. Il est important d'appliquer les mesures de protection respiratoire et les règles de distanciation, mais une ventilation adéquate est également essentielle.»