
En 2021, au Canada, les personnes migrantes avec un statut de résidence temporaire comptaient pour 10 % de la main-d’œuvre de la restauration et 5 % de celle de l’hôtellerie, indique le rapport sur ce secteur.
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Les personnes immigrantes temporaires remplissent un besoin de main-d'œuvre important dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi que de la santé, notamment pour occuper les postes de préposés aux bénéficiaires. Danièle Bélanger, professeure à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique, a corédigé deux rapports de recherche qui s'intéressent aux conditions de travail auxquelles elles font face et à leur vulnérabilité aux abus et à l'exploitation en raison d'un statut précaire.
Ces rapports, rédigés dans le cadre du projet Partenariat sur les migrants temporaires en emploi (PARTEMP), ont été présentés le 2 octobre lors d'une conférence de la Chaire de recherche du Canada sur les dynamiques migratoires mondiales, dont la professeure Bélanger est titulaire.
Basés sur des entretiens, ces rapports mettent en lumière les enjeux du statut temporaire dans deux secteurs d'emploi moins attrayants pour la population. Les participantes et participants pouvaient avoir des permis de travail fermés ou ouverts, des permis d'études, des visas visiteur ou avoir fait des demandes d'asile.
La précarité du statut
Selon Danièle Bélanger, le statut temporaire est un «dénominateur commun», peu importe le secteur d'emploi, pour les questions d'abus et d'exploitation documentées, comme de doubles quarts de travail fréquents, des salaires inéquitables ou l'obligation de réaliser des tâches qui dépassent leur fonction principale. Les personnes immigrantes détenant un permis fermé, qui les lie à un employeur spécifique, sont particulièrement à risque.
Un cuisinier temporaire originaire du Mexique a raconté gagner 12 dollars de l'heure, tout en travaillant 70 à 80 heures par semaine. «Je n'avais évidemment pas la possibilité de bouger. Parce qu'ils m'avaient dit que c'était comme ça que ça marchait», témoigne-t-il.
La peur de perdre leur emploi revenait souvent dans les entretiens comme frein à la dénonciation. La professeure Bélanger rapporte qu'un sentiment de loyauté ou un rapport paternaliste peuvent s'installer. Certaines personnes dépendent parfois de l'employeur pour accéder à la résidence permanente.
Même si certaines problématiques reviennent à la fois en hôtellerie et en restauration, ainsi qu’en santé, comme les horaires atypiques et un effort physique exigeant, il y a des différences clés. Le secteur de la santé est «beaucoup plus régulé». «L'État occupe une plus grande place, même s'il y a une privatisation du secteur de la santé. Il y a aussi plus de syndicalisation», indique Danièle Bélanger. Il y a aussi un enjeu sur la reconnaissance du parcours professionnel. «Certaines personnes très qualifiées dans leurs pays d'origine, comme infirmiers ou médecins, ont été recrutées comme préposés aux bénéficiaires en faisant miroiter une éventuelle promotion qui n'arrive pas toujours.»
Du côté de l'hôtellerie et de la restauration, comme le secteur est privé, il est moins encadré. «On y trouve une forte présence d'étudiants internationaux. Il y a beaucoup de roulement de personnel», ajoute la professeure. Dans ce secteur, les logements sont parfois loués directement par l'employeur ou situés sur le lieu de travail, une situation qui entraîne des enjeux de confusion entre le temps de travail et de repos.
Un manque d'information
Peu importe le statut d'emploi des personnes immigrantes temporaires, la mésinformation par rapport aux parcours d'immigration revient souvent dans les entretiens. On peut penser aux conditions de travail du secteur et aux conditions de vie, comme l'accès aux soins de santé, au logement, aux garderies, aux écoles, au transport et aux services d'aide disponibles. Il est plus complexe de les rejoindre, car contrairement au secteur de l'agriculture, les secteurs de la santé, de l'hôtellerie et de la restauration ne comptent pas sur des organismes communautaires dédiés, explique la professeure Bélanger.
— Danièle Bélanger, professeure à la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique
«Mais même quand ils ont l'information, ça reste difficile parce que les institutions gouvernementales ne sont souvent pas adaptées à la situation de ces travailleurs, qui peuvent notamment être saisonniers», prévient la professeure.
Les rapports abordent aussi la question de recrutement à l'international. «Il y a des règles sur ce qui se passe sur notre territoire, mais pas sur ce qui a lieu à l'étranger», précise la chercheuse. Il circule donc de faux contrats ou il y a des agences de placement frauduleuses qui retiennent une partie du salaire ou qui exigent plusieurs centaines de dollars.
Pour pallier ces enjeux, la professeure Bélanger pense que les personnes immigrantes temporaires devraient être informées systématiquement de leurs droits. Elle recommande aussi un rôle plus important de l'État à la fois dans la reconnaissance, la valorisation et la prise en charge.
Dépolitiser l'immigration
«Ces rapports arrivent à un moment politique particulier au Québec, parce que la question d'immigration temporaire est devenue très médiatisée et politisée au cours des deux dernières années», soutient la professeure Bélanger.
Elle observe une dissonance politique par rapport à la contribution et au rôle de ces personnes sur le marché du travail au Québec. «On est beaucoup dans un discours très négatif sur le rôle présumé des immigrants, notamment des immigrants temporaires, pour beaucoup de problèmes, comme la crise du logement, l'augmentation du chômage ou le déclin du français. Or, les immigrants temporaires contribuent énormément à notre système de santé et à nos entreprises dans des emplois souvent boudés par la population locale.»
La professeure Bélanger soutient qu'il faut dépolitiser le discours actuel. «Ça cause énormément de torts. Il y a beaucoup de désinformation sur la réalité des personnes migrantes.» Selon elle, les deux paliers de gouvernement doivent planifier des changements structuraux à moyen et à long terme. «On ne peut pas improviser les politiques comme on le fait actuellement.»
Les rapports L'envers du décor - Expériences de personnes migrantes temporaires employées dans le secteur de l'hôtellerie-restauration au Québec et Entre louanges et abus - Les personnes préposées aux bénéficiaires migrantes temporaires sont accessibles en ligne.