Elle a ouvert la voie à d'autres femmes dans le monde de l'enseignement supérieur. Elle a été pionnière de la recherche féministe. Elle a joué un rôle fondamental dans la lutte pour la diversité intellectuelle. Elle a participé à l'accès et à l'inclusion des filles dans les établissements scolaires. Elle a mené le système d'éducation du Québec vers la modernité. Elle a recommandé des mesures pour l'égalité des droits entre les hommes et les femmes et des mesures pour les femmes autochtones. Son travail a permis l'adoption de politiques très importantes comme le congé de maternité.
Jeanne Lapointe a une feuille de route impressionnante, comme l'a déclinée la rectrice de l'Université Laval, Sophie D'Amours, en conférence de presse le 8 mars. Pour célébrer ce «parcours remarquable», elle a annoncé que le pavillon des Sciences de l’éducation porte désormais le nom de cette grande intellectuelle, décédée en 2006. Du haut de ses 17 étages, le pavillon Jeanne-Lapointe rend ainsi hommage à l’une des premières femmes laïques diplômées aux cycles supérieurs à l’Université Laval, et première professeure de littérature de son alma mater en 1940.
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Claudia Raby, doctorante en études littéraires et biographe de Jeanne Lapointe, s'est dite émue de cette consécration, «résultat du travail collectif de reconnaissance et de diffusion effectué depuis une vingtaine d'années par des chercheuses, des chercheurs et des proches». «C'est le maillage de toutes ces actions qui fait maintenant entrer les accomplissements de Jeanne Lapointe dans la mémoire collective, ne serait-ce que dans le langage de la jeunesse, qui dira bientôt: “Je m'en vais au pavillon Lapointe!”», a poursuivi la membre étudiante du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises.
«Jeanne Lapointe a écrit dans l’un de ses textes: “Les historiennes cherchent les femmes dans l’histoire, mais ne les trouvent pas”, a souligné pour sa part Martine Biron, ministre des Relations internationales et de la Francophonie et ministre de la Condition féminine. Je ne les trouve pas non plus dans les noms de rues. Il y a un gros travail de rattrapage à faire. Merci à Sophie D’Amours d’avoir pensé à sensibiliser l’équipe de toponymie de l’Université pour qu’on donne finalement le nom à une femme dans un pavillon de recherche et d’enseignement.»
Dialogue, courage et hardiesse
Critique littéraire sur les ondes de Radio-Canada, lectrice attentive d’Anne Hébert, proche de Gabrielle Roy et de Marie-Claire Blais, la professeure Lapointe vivait par ailleurs dans un monde interdisciplinaire et poursuivait un idéal de justice sociale. «Elle s’est intéressée à la littérature, à la psychologie, à la psychanalyse, à la sociologie, à la philosophie, aux études féministes et, naturellement, à l’éducation, a énuméré la rectrice. Jeanne Lapointe misait beaucoup sur le dialogue pour l’avancement de la société.»
Elle a notamment siégé comme commissaire à la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (la Commission Parent) dans les années 1960, dont les recommandations ont permis de démocratiser le système d’éducation québécois. «Jeanne était hardie. De tous les membres de la Commission, c’est assurément elle qui avait le plus de courage dans ses affirmations. Par exemple, elle était une féroce défenseuse de la déconfessionnalisation des institutions catholiques. Pour créer les cégeps, il fallait déconfessionnaliser les écoles normales, les collèges classiques», a rapporté Guy Rocher, professeur, sociologue et corédacteur avec Jeanne Lapointe du rapport Parent, qui comptait cinq volumes totalisant quelque 1500 pages.
«Jeanne a beaucoup contribué à la pensée et à la rédaction du rapport. Aux deux semaines, elle proposait un nouveau chapitre. Il m’arrive de dire que c’est le rapport Lapointe-Parent», a même glissé Guy Rocher, tout en saluant l’intelligence et l’ouverture de Mgr Alphonse-Marie Parent, recteur de l'Université Laval, qui présidait la Commission.
Celui qui était son complice et son porte-parole durant les travaux de la Commission a parlé de la grande modestie de sa collègue. «Je suis certain qu’elle se moque un peu de nous, mais qu’elle apprécie», a-t-il lancé à propos de cet hommage.
Après cette grande implication, Jeanne Lapointe n’avait pas dit son dernier mot. À la fin des années 1960, elle devient membre de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada (la Commission Bird). Elle allait cette fois s’attaquer aux «enjeux sociologiques et psychologiques qui déterminent l’éducation des filles et les réalités des femmes, notamment en se penchant sur leur représentation encore très stéréotypée dans les manuels scolaires et les documents gouvernementaux», mentionne Claudia Raby.
Pionnière, avec Agathe Lacoursière-Lacerte
La doctorante et biographe a rappelé que Jeanne Lapointe avait 23 ans quand elle a obtenu une première charge de cours en grammaire française à l'Université Laval à l'été 1939, soit un an après l'embauche d'Agathe Lacoursière-Lacerte, première femme professeure d'université francophone au Québec. Cette dernière enseignait l'espagnol. «Les pavillons Agathe-Lacerte et Jeanne-Lapointe sur le campus commémorent en quelque sorte l'engagement pionnier de ces premières femmes professeures d'université», souligne-t-elle. Il existe également sur la cité universitaire la maison Marie-Sirois, en mémoire de la première femme diplômée de l'Université Laval.
Jeanne Lapointe, pédagogue avant-gardiste, estimait l'intelligence humaine et dialoguait avec la communauté étudiante. «En fin de carrière, elle a créé une bourse féministe pour les étudiantes. Puis elle s'est assuré que son département fonde un poste de professeure de littérature dans une perspective féministe avant de prendre sa retraite en 1987», mentionne Claudia Raby. En 2019, l'Acfas annonçait la création du prix Jeanne-Lapointe, qui récompense l'excellence et le rayonnement des travaux et des actions d'une chercheuse ou d'un chercheur dans le domaine des sciences de l'éducation.
«J’aurais aimé connaître Jeanne Lapointe, a lancé la rectrice. L’héritage de cette femme d’exception est le symbole du progrès et de l’émancipation des femmes. Il doit servir à inspirer les générations futures, les hommes et les femmes, à poursuivre ses actions d’équité et d’inclusion.» Une stèle arborant son nom est déjà aménagée à l’extérieur du pavillon et une murale y sera installée prochainement.
Pour en apprendre davantage sur Jeanne Lapointe, Claudie Maynard a mis en lumière son parcours dans une capsule vidéo historique, alors qu'elle était doctorante en histoire de l'art à l'Université Laval.