Il a été parmi les premiers chercheurs à parcourir les eaux scientifiques peu fréquentées situées à l'interface de la biologie moléculaire et de l'écologie. Il a aussi été parmi les premiers à comprendre la richesse des informations qui s'y trouvaient et à les exploiter avec succès. Son flair, son audace et sa détermination lui ont permis de livrer une volumineuse œuvre scientifique, qui a fait école dans le monde. Malheureusement, la carrière de ce pionnier de l'écologie moléculaire a pris fin abruptement le 28 septembre. Le professeur Louis Bernatchez nous a quittés à l'âge de 63 ans, au terme d'une longue maladie.
Louis Bernatchez est né à Lac-Frontière en 1960. C'est dans ce minuscule village de Chaudière-Appalaches qu'il a su, dès l'âge de 12 ans, qu'il deviendrait biologiste. La chose ne sautait pas aux yeux à l'époque. Son intérêt pour les poissons consistait surtout à capturer des centaines de ménés pour nourrir les 14 chats du curé du village, racontait-il, en 2012, au moment de recevoir le prix Marie-Victorin, la plus haute distinction décernée au Québec dans le domaine des sciences naturelles et du génie.
Quiconque croit au destin verra dans le lieu de naissance de Louis Bernatchez un présage du parcours qu'allait emprunter sa carrière scientifique. Il a consacré l'essentiel de ses travaux aux poissons d'eau douce, en particulier aux salmonidés, et il les a étudiés en se créant une niche à la frontière de l'écologie moléculaire, de la génétique évolutive et de la biologie de la conservation.
Son rêve de devenir biologiste prend forme en 1979 alors qu'il s'inscrit au baccalauréat à l'Université Laval. Il enchaîne avec une maîtrise dans l'équipe du professeur Julian Dodson. Son sujet d'étude: le comportement de migration des populations de corégones de la baie James à la suite des grands travaux hydroélectriques des années 1970. Il en tirera son premier article scientifique en 1985; 559 autres suivront au fil de sa prolifique carrière.
Le point tournant de son parcours survient en 1986 alors qu'il amorce ses études de doctorat. C'est à ce moment qu'il a le flash de faire appel aux outils de la biologie moléculaire pour étudier les populations de salmonidés sauvages. Son directeur Julian Dodson et son codirecteur Dominick Pallotta, spécialiste de la biologie moléculaire au Département de biologie, l'accompagnent dans cette aventure.
«Il voulait utiliser ces outils, mais il n'avait pas de connaissances dans le domaine, se rappelle le professeur Pallotta. Je lui ai montré les techniques qui existaient à l'époque pour étudier l'ADN mitochondrial. Il est parti avec ça et il s'est débrouillé tout seul par la suite. Il était un étudiant exceptionnel, le plus brillant formé au Département de biologie pendant toutes les années où j'y ai enseigné.»
En 1995, Louis Bernatchez obtient un poste de professeur au Département de biologie de l'Université Laval. Son laboratoire devient rapidement une ruche bourdonnante qui produit à un rythme d'enfer. Il s'attaque aussi bien à des questions de nature fondamentale touchant l'évolution des poissons qu'à des problèmes très appliqués comme l'ensemencement des plans d'eau ou l'identification exacte et la provenance réelle des poissons vendus en épicerie.
«Louis avait une énergie et une capacité de travail hors du commun. De plus, il était brillant et extrêmement efficace. Il avait une grosse équipe, mais il était très présent et il parvenait à maintenir un esprit d'entraide et de collaboration entre tous les étudiants et les professionnels de recherche», souligne le professeur du Département de biologie, Jean-Sébastien Moore, qui a été stagiaire postdoctoral dans l'équipe de Louis Bernatchez de 2013 à 2017.
Louis Bernatchez avait déjà acquis une réputation internationale lorsque Jean-Sébastien Moore l'a rencontré pour la première fois. «J'étais étudiant à McGill et il était venu présenter ses travaux. Après la conférence, je suis allé lui parler. L'expérience aurait pu être intimidante pour moi, mais il avait été d'une grande gentillesse et d'une grande générosité. Il était très facile d'approche et toujours disposé à discuter avec la relève.»
Même après que d'autres labos eurent intégré des outils moléculaires à leurs travaux en écologie, des chercheurs des quatre coins du monde continuaient de venir à l'Université Laval pour faire des stages dans l'équipe de Louis Bernatchez. «Il avait une capacité d'attraction extraordinaire. Si ces scientifiques voulaient travailler dans le labo de Louis, c'était en raison de ses réalisations, mais aussi à cause de sa personnalité», estime le professeur Moore.
En dépit du passage des ans, le labo de Louis Bernatchez continuait de tourner à plein régime. «Louis ne s'est jamais assis sur ses lauriers, poursuit son collègue. Les choses évoluent rapidement en génomique. Il était toujours à l'affût des nouvelles techniques et il était parmi les premiers à les utiliser. Il était toujours impatient de se lancer dans de nouvelles aventures. C'était un homme de vision et d'action.»
Malgré les exigences de son travail, Louis Bernatchez trouvait le temps de faire entendre sa voix sur la place publique dans des dossiers qui lui tenaient à cœur. En 2012, on l'a vu s'opposer à une modification de la Loi sur les pêches qui aurait affaibli les mesures de protection de l'habitat du poisson. En 2013, il prononçait une conférence sur les conséquences négatives des politiques scientifiques du gouvernement Harper pour la population canadienne. En 2015, il livrait un plaidoyer en faveur de la recherche fondamentale, domaine qui faisait alors les frais des politiques du gouvernement Harper. Plus récemment, en 2022, il a été l'un des instigateurs d'un mouvement national qui réclamait un dégel des bourses fédérales pour les étudiants-chercheurs.
Pendant ses 28 années de carrière à l'Université Laval, Louis Bernatchez a dirigé plus de 50 étudiants à la maîtrise, autant au doctorat et une quarantaine de stagiaires postdoctoraux. Vingt de ses anciens étudiants sont maintenant professeurs universitaires, dont six à l'Université Laval.«Je suis fier d'avoir fait rayonner le Québec dans le monde scientifique, disait-il lorsqu'il a reçu le prix Marie-Victorin, mais la contribution dont je suis le plus fier, c'est d'avoir formé la relève en biologie.»
«Louis a été un chercheur d'exception, tant par sa contribution à son domaine d'études que par sa participation à la formation de relève scientifique, estime Jean-Sébastien Moore. Nous perdons un personnage majeur de la science au Québec.»