«Kuei, Wachiya, Kwei, Qey, Kwe, Gwé, Kwey, Ai, Kwaï.» C'est en prononçant les marques de salutation dans les langues de chaque nation que la rectrice Sophie D'Amours a lancé «trois jours de célébrations, de commémoration, d'engagement envers la réussite d'une grande démarche de réconciliation avec les Premiers Peuples» sur le campus. «Il faut que tout le monde ici, à l'Université, on soit fier de connaître des mots autochtones et leur signification», a-t-elle dit en ouverture des activités, qui occupent le Grand Axe jusqu'au 30 septembre pour commémorer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.
Pour Sarah Cleary, artiste ilnue et fille d'un survivant des pensionnats, le chemin de la guérison passe notamment par la réappropriation de sa langue. Coordonnatrice au Comité régional des langues, qui travaille avec les 43 communautés des Premières Nations au Québec et au Labrador pour les faire revivre, elle a parlé de leur rythme, de leur beauté, de leur complexité (il s'agit de langues animistes, le verbe et la construction de la phrase varient selon le sujet, qui peut être perçu comme animé d'une âme ou non), mais aussi de leur rareté.
«Au Québec, toutes les langues des Premières Nations sont identifiées comme en danger», a-t-elle souligné. On compte 10 langues différentes dans la province, 11 en comptant l'inuktitut. Si l'atikamekw est parlé par à peu près 95% de sa population, le huron-wendat est en état de dormance, «plus personne ne le parle couramment», explique-t-elle. Son espoir repose sur les apprenants, ces «soldats» qui s'affairent à réapprendre leur langue ancestrale. «C'est ce qui nous encourage, il y a de plus en plus de structure, de cours.»
Bonjour | Merci | |
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Innu/ilnu | Kuei | Tshinashkumitin |
Naskapi | Wachiya | Chiniskomiitin |
Atikamwek | Kwei | Mikwetc |
Wolastoqey | Qey | Woliwon! |
Kanien’kehà | Kwe ou Shé:kon | Nia’:wen |
Migmaq | Gwé | Welalin |
Cri | Wachiya | Migwech |
Anicinabe | Kwey | Migwetc ou Chinaskumitin |
Wendat | Kwe | Tiawenhk |
Inutituk | Ai | Nakurmiik |
Abénaquis | Kwaï | Wliwni |
Une communauté qui grandit
Conférences sur les langues, carte du Québec autochtone, artisanat, dégustation de bannique, danses, chants, tout est à l'œuvre sur le campus ces jours-ci pour découvrir les membres des Premiers Peuples et les étudiants et étudiantes qui en sont issus. Leur communauté sur le campus a d'ailleurs grandi et connu une augmentation de 24% cette session par rapport à l'automne 2019, a mentionné la rectrice, qui espère passer de quelque 400 inscriptions cette année à 800 d'ici 2027.
«On a un déficit de connaissance, on se connaît peu. Ce que vous faites ici, c'est de se rapprocher, d'apprendre à se connaître, et c'est comme ça qu'on va lutter contre le racisme, l'intolérance, le profilage. Il y a encore du travail à faire, mais des événements comme ça me donnent espoir», a salué Ian Lafrenière, ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, de passage sur le Grand Axe.
La rectrice a réitéré son engagement à l'égard du plan En action avec les Premiers Peuples, adopté en 2020, et montré le chemin parcouru, notamment grâce au don de 15M$ de la Fondation Mastercard: programme d'études aux personnes issues des communautés, Chaire de leadership en enseignement sur l'inclusion des traditions autochtones dans les programmes de formation en droit, travail côte à côte avec les Premiers Peuples en recherche nordique, projet de milieu de vie autochtone sur le campus, qui pourra accueillir 80 familles.
Cathia Bergeron, vice-rectrice aux études et aux affaires étudiantes, responsable de la santé a aussi rappelé la création du Cercle des Premiers Peuples à la Bibliothèque, un espace de sécurisation culturelle destiné à la communauté autochtone du campus. «Notre objectif n'est pas de se limiter à l'accueil et à l'ouverture, dit-elle, notre engagement va plus loin: il est de mettre en place toutes les conditions pour que nos étudiantes et nos étudiants réussissent.»
Former des médecins issus des Premiers Peuples
Mission accomplie pour les nouveaux gardien.nes de territoire, dont ULaval nouvelles parlait récemment. D'autres ont choisi divers chemins, certains sont devenus médecins, comme l'a raconté Emmanuelle O'Bomsawin, de descendance Wabanaki (Abénaquis), ancienne étudiante de la Faculté de médecine de l'Université Laval aujourd'hui médecin-psychiatre. Elle est issue du Programme des facultés de médecine pour les Premières Nations et les Inuits au Québec (PFMPNIQ) et a parlé de sa responsabilité, de son rôle d'ambassadrice.
Les 33 médecins qui pratiquent, depuis la première cohorte du programme en 2008, donnent du temps à leur communauté, sont responsables de la santé autochtone dans leurs établissements, lèvent la main quand ils entendent des propos racistes, décrit-elle.
Evans Villeneuve, professeur associé au Département de psychiatrie et de neuroscience, a participé à la naissance du PFMPNIQ. À l'issue d'une rencontre dans une maison longue, à Vancouver, pour réfléchir sur un contingent des Premiers Peuples pour les quatre facultés de médecine au Québec, l'Université Laval a eu la responsabilité de le mettre en place.
Il explique que le chirurgien innu Stanley Vollant, souvent interviewé à titre d'expert, inspire. «Lorsqu'on fait des entrevues pour l'admission des étudiants autochtones, son nom pop up», indique le professeur, qui souhaite justement multiplier ces modèles à émuler.
Les membres des Premiers Peuples sont encore méfiants devant le système de santé, dit-il, et l'objectif du programme est de former des médecins issus des communautés et de favoriser une pratique sécuritaire pour les gens qui consultent. Il ajoute que ces étudiants engagés ont aussi une influence sur leurs confrères et consœurs allochtones.
La voix de Joyce Echaquan
«Rendons grâce à Joyce Echaquan. Sa voix a secoué, a éveillé», a d'ailleurs prononcé un peu plus tôt Édith Picard, aînée huronne-wendat. Ces journées chargées d'émotions honorent la mémoire de Joyce Echaquan, décédée en 2020 sous les insultes d'employés dans un hôpital situé près de la communauté atikamekw de Manawan.
Un peu plus tôt dans la journée, au battement des percussions de Red Tail Spirit, des «femmes clochettes», arborant des robes ornées de 365 clochettes, ont dansé pour la guérison.
Le lendemain, le campus grouillait d'écoliers venus s'imprégner de l'histoire et de la culture des Premiers Peuples et relever le Défi du renard en parcourant le sentier de la santé. L'Atikamekw Christian Flamand était de passage pour parler d'Expédition Premières Nations, une traversée du Québec à motoneige dont l'objectif est de sensibiliser la province au racisme envers les Premiers Peuples et de rendre hommage à Joyce Echaquan, aux femmes autochtones et aux enfants disparus. Il a raconté comment son grand-père et son passage dans les forces armées l'ont préparé à mener cette aventure dans les sentiers non balisés pour rassembler des participants et conscientiser les communautés et la population en général à la solidarité et à la résilience. «C'est plus qu'un trip de motoneige!» La deuxième édition de l'Expédition aura lieu du 27 janvier au 10 février 2024.
La cité universitaire a ensuite vibré au son de l'auteur-compositeur-interprète innu Matiu de Mani-Utenam.
Les activités «ouvertes au grand public», a insisté la rectrice, se poursuivent pour une troisième et dernière journée, le 30 septembre, avec une marche de la vérité qui débutera dès 11h sous l'arche installée dans le Grand Axe. Une démonstration culinaire de Marc de Passorio, chef du restaurant La Traite, établissement de Wendake qui propose une cuisine du terroir, viendra clore l'événement.