13 juin 2023
L'Acfas, catalyseur de l'identité scientifique francophone au Québec
Un ouvrage soulignant le centenaire de l'Acfas rappelle comment cette vénérable institution a canalisé les aspirations d'une communauté qui croyait, et qui croit encore, à l'importance de faire de la science en français en Amérique du Nord
L'idée était téméraire il y a 100 ans. Elle l'est encore – peut-être même davantage – aujourd'hui. Mais, contre vents et marées, l'Acfas tient le cap qu'elle s'est donné il y a un siècle: créer un espace dans lequel peut exister et s'épanouir une communauté scientifique francophone en sol américain.
C'est l'odyssée de cette vénérable association que raconte l'historien et sociologue des sciences Yves Gingras, également titulaire d'un diplôme de maîtrise en physique de l'Université Laval (1979), dans son ouvrage Pour l'avancement des sciences. Histoire de l'Acfas (1923-2023), publié chez Boréal. L'essai signé par ce professeur de l'UQAM constitue une mise à jour du livre qu'il avait publié en 1994 pour souligner le 70e anniversaire de ce qui s'appelait alors l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences.
L'ouvrage d'Yves Gingras s'ouvre sur une mise en contexte de la place occupée par la science et par l'enseignement des sciences dans le Québec des années 1920. Il retrace ensuite les efforts déployés par les leaders scientifiques de l'époque, notamment le botaniste Marie-Victorin, le radiologiste Léo Pariseau, le biologiste Louis-Janvier Dalbis et le botaniste-ethnologue Jacques Rousseau, pour créer une association qui veillerait à mobiliser les sociétés savantes existantes et qui servirait de porte-voix à leurs revendications. Le but avoué de ces intellectuels, dont l'avant-gardisme détonnait dans une époque réputée pour son conservatisme, était de miser sur la science pour favoriser le développement économique de la société canadienne-française et pour la faire entrer dans la modernité.
L'essai d'Yves Gingras rappelle que les racines de l'Acfas sont résolument montréalaises, mais que l'Université Laval a tout de même joué un rôle important dans l'histoire de cette association, notamment pour en faire une entité véritablement nationale. Ainsi, le premier congrès de l'Acfas a eu lieu à Montréal en 1933, mais, dès l'année suivante, l'Université Laval en était l'hôte. Dans les 20 années qui suivront, le congrès se déroulera neuf fois dans la région de Québec, soit à l'Université Laval ou à la Station forestière de Duchesnay. Au total, l'Université Laval a été l'établissement hôte du congrès à 21 occasions, dont récemment en 2022.
Au cours du dernier siècle, de nombreux professeurs de l'Université Laval se sont engagés dans la direction de l'Acfas. En 1932, Alexandre Vachon, professeur de chimie de l'Université Laval, devient le premier président de l'Acfas hors Montréal. Pendant les deux décennies qui suivront, d'autres bâtisseurs des sciences à l'Université Laval lui succéderont: le mathématicien Adrien Pouliot (1934), l'entomologiste Georges Maheux (1936), le radiologiste J.-Edmour Perron (1938), le géologue Wilfrid Laverdière (1956), le chimiste Joseph Risi (1947), l'entomologiste Lionel Daviault (1949), le mycologue René Pomerleau (1951) et le chimiste Cyrias Ouellet (1953). Au total, la présidence de l'Acfas a été occupée à 23 reprises par des membres de la communauté universitaire de l'Université Laval.
Fidèle à lui-même, Yves Gingras raconte sans complaisance comment l'Acfas a évolué au fil des décennies en réponse aux transformations de la science et de la société afin de maintenir sa pertinence, alors que le combat visant à établir une solide communauté scientifique francophone au Québec semblait gagné. Les tiraillements vécus au sein de l'Acfas à différents moments de son histoire, quant à son identité et à sa mission, sont abordés de front.
L'Acfas a été officiellement créée le 15 juin 1923. Quelques années plus tard, en 1942, l'un de ses fondateurs, Léo Pariseau, prédisait le mort glorieuse de l'association le jour où elle aurait réalisé tous ses objectifs. «Si on devait aujourd'hui faire une prévision quant à l'avenir de l'Acfas, écrit Yves Gingras, on pourrait avancer qu'elle a plus que jamais sa raison d'être comme gardienne des intérêts des scientifiques, car l'idée que les sciences sont importantes pour le développement social et culturel ne peut jamais être tenue pour acquise… C'est par le renouvellement incessant d'une communauté scientifique francophone bien ancrée au Québec et soutenue activement par ses membres que l'Acfas pourra continuer à "faire avancer les savoirs"», comme le veut sa devise.