«Ce prix est une magnifique reconnaissance de notre travail au Partenariat canadien pour la justice internationale, une belle tape dans le dos! s’exclame la professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval, Fannie Lafontaine. Ce prix va à toute l’équipe de collègues, partout au pays, ainsi qu’à nos collaborateurs d’organisations non gouvernementales. Notre partenariat est riche et complexe et ce prix est le signe qu’il vaut la peine de travailler en équipe.»
La professeure Lafontaine enseigne à l’Université Laval depuis 2007. Cette avocate est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux. Elle est aussi la fondatrice et codirectrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval. En 2016, elle cofondait le Partenariat canadien pour la justice internationale, qu’elle dirige depuis 2019. Fannie Lafontaine est considérée par ses pairs comme une sommité du droit international relatif à la répression des crimes internationaux, génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Le jeudi 1er décembre, à Ottawa, elle assistera à une cérémonie au cours de laquelle une importante distinction honorifique lui sera remise, le prix Partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Ce prix souligne la contribution exceptionnelle d’un partenariat financé par le CRSH à la recherche, à la formation en recherche, à la mobilisation des connaissances ou à l’élaboration d’une nouvelle approche de partenariat en matière de recherche ou d’activités connexes.
«Le Partenariat, explique-t-elle, regroupe 25 chercheurs et praticiens, ainsi que 9 universités partenaires, 4 cliniques juridiques et 3 organisations non gouvernementales. L’idée, à la base, était de mélanger des universitaires avec des travailleurs de terrain avec les mêmes objectifs pour tous, soit d’étudier les différentes voies que les victimes de graves violations des droits de la personne peuvent emprunter pour obtenir justice.»
Inédit, le Partenariat aborde les enjeux en mobilisant plusieurs domaines juridiques, comme le pénal, le civil et l’administratif. Il utilise une approche interdisciplinaire faisant appel à la criminologie, la science politique, les études de genre et les études féministes. Le Partenariat met aussi en place une collaboration intersectorielle entre les universités, les services juridiques communautaires, les ONG et les organisations internationales.
Louise Arbour
La piqûre pour le droit international, Fannie Lafontaine ne l’a pas eue durant ses études de baccalauréat à l’Université Laval. «Il y avait un cours optionnel en droit international, raconte-t-elle, mais je ne l’ai pas suivi.» Son intérêt pour le domaine est venu plus tard, à la fin de son baccalauréat en 2002, après avoir accepté un poste d’auxiliaire juridique auprès de la juge de la Cour suprême, Louise Arbour. Avant de siéger à la Cour suprême, la juge Arbour avait occupé la fonction de procureur en chef du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
«La juge Arbour était mon héroïne, dit-elle. Elle était celle que j’admirais le plus sur la planète juridique.»
Dans sa lettre d’appui à la candidature du Partenariat au prix du CRSH, l’ex-magistrate écrit: «Fannie Lafontaine a été une fidèle alliée pendant les années où elle a travaillé avec moi. Elle a rédigé des notes juridiques de grande qualité sur des multitudes de sujets et a contribué à la rédaction de jugements importants. Ses réflexions originales et pénétrantes et nos discussions animées ont contribué à mes propres réflexions sur les questions juridiques que je devais trancher.»
Entre 2004 et 2008, l’ex-juge fut Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme.
«Alors que mon bureau de Haut-Commissaire aux droits de l’homme était chargé par le Conseil de sécurité de mettre sur pied la Commission internationale d’enquête sur le Darfour, explique-t-elle dans sa lettre d’appui, j’ai immédiatement suggéré au juge et professeur feu Antonio Cassese, président de la Commission, de recruter Fannie Lafontaine alors qu’il cherchait un assistant juridique de haut calibre. […] Fannie Lafontaine a ensuite joint les rangs du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, au sein de mon cabinet exécutif; elle a été mon bras droit pour plusieurs analyses juridiques et discours importants. Son travail a été là aussi exemplaire.»
Le droit international en pleine expansion
Lorsque la professeure Lafontaine étudiait à l’Université Laval, la Faculté de droit ne comptait que quelques professeurs spécialisés en droit international. Ils sont aujourd’hui une douzaine. «Nous avons développé une expertise en continuité de l’évolution du monde, soutient-elle. Le développement de ce droit a été exponentiel.»
Elle rappelle que depuis le milieu des années 1990, la justice pénale internationale s’est affirmée comme un droit tout nouveau qui est venu bouleverser la souveraineté des États.
«Tout d’un coup, poursuit-elle, le droit international s’intéressait aux personnes. C’était révolutionnaire. Traditionnellement, le droit s’intéressait uniquement aux États. Or, ce n’est pas parce que la personne accusée de crimes contre l’humanité est un chef d’État qu’elle peut se soustraire à la justice. Mais c’est un droit difficile à appliquer parce que les États sont très protecteurs de leur souveraineté.»
Des enjeux concrets de société
Quatre cliniques juridiques font partie du Partenariat canadien pour la justice internationale, dont la Clinique de droit international pénal et humanitaire de l’Université Laval.
«La création de la Clinique, explique la professeure, découle du fait que mes étudiants avaient peu accès aux dossiers réels et qu’ils avaient envie d’un pont vers l’expérience de terrain. Le mandat de la Clinique consiste à mettre des étudiants de l’Université dans un contexte d’expérience concrète avec des praticiens à l’œuvre sur le terrain. Ce sont des occasions uniques qui permettent aux étudiants d’entrer dans le milieu du droit international.»
Au fil des ans, des étudiants ont pu travailler sur certains des plus grands dossiers de justice internationale. Mentionnons les violations commises à l’endroit des Ouïghours en Chine, les crimes commis au Mali, la violence contre les femmes victimes de traite en Amérique centrale et la violence coloniale contre les Autochtones au Canada et ailleurs.
Fannie Lafontaine dirige 15 étudiants de doctorat ou de maîtrise qui bénéficient du réseau du Partenariat. Plus de 50 ont obtenu leur diplôme sous sa supervision dans les dernières années. Le Partenariat a engagé plus de 130 auxiliaires de recherche dans les établissements partenaires. Les cliniques ont permis de former près de 600 étudiants à la réalité de la pratique du droit international.
«La clinique de l’Université Laval a servi de tremplin, dit-elle. Plusieurs diplômés travaillent en droit international, notamment à La Haye.»
L’Ukraine
La professeure Lafontaine collabore présentement avec une organisation non gouvernementale ukrainienne sur les violences sexuelles commises par des soldats russes en Ukraine.
«Avec mes collègues du Partenariat, indique-t-elle, je m’implique dans des causes au cœur de l’actualité.»
Elle agit aussi à titre d’experte et consultante dans des projets de coopération internationale et auprès d’organisations vouées à la protection des droits humains. En 2015, elle a été nommée par le gouvernement du Québec pour agir comme observatrice civile indépendante de l’enquête du Service de police de la Ville de Montréal sur des allégations d’actes criminels commis par des policiers d’autres corps de police contre des membres des Premières Nations.
«L’enquête est terminée et deux rapports ont été produits, explique-t-elle. Cette expérience fut marquante pour moi. Je devais m’assurer que l’enquête soit impartiale et crédible. J’ai beaucoup appris. Ce fut stimulant sur le plan scientifique et sur le plan humain.»
Soulignons que le Partenariat a coorganisé deux importants événements au Canada sur la possibilité de créer un nouveau crime international, l’«écocide», afin de poursuivre devant la Cour pénale internationale les plus hauts responsables d’atteintes à l’environnement.
Depuis la création du Partenariat, ses membres ont produit plus de 140 articles scientifiques, 15 monographies, 5 ouvrages collectifs codirigés, 70 chapitres d’ouvrages et 6 rapports sur la justice internationale. Le Partenariat a également organisé plus de 60 webinaires, séminaires, conférences et écoles d’été.
Fannie Lafontaine est l’auteure de l’ouvrage Prosecuting Genocide, Crimes Against Humanity and War Crimes in Canadian Courts publié en 2012. Récemment, elle signait le texte d’une bande dessinée de vulgarisation juridique, un ouvrage qui porte sur le thème du génocide. «J’en suis assez fière, dit-elle. C’est une façon intelligente et simple d’aborder un tel thème.»