Le 24 septembre 2009, Nelly Arcan s'enlevait la vie, à l'âge de 36 ans. L'auteure, née sous le nom d'Isabelle Fortier, a marqué le paysage littéraire québécois avec ses récits et ses nouvelles, des œuvres autofictionnelles où elle aborde sans filtre ni pudeur des thèmes délicats comme l'image de la femme, la marchandisation du corps et… le suicide.
«Nelly n'hésitait pas à montrer la laideur du monde et de la société, mais elle le faisait avec beaucoup de beauté et d'authenticité. Son œuvre parle de son expérience et de sujets très personnels tout en touchant de grands thèmes actuels et universels», constate Élodie Cossette-Plamondon, finissante à la maîtrise en études littéraires.
Admiratrice avouée de Nelly Arcan, cette étudiante a choisi d'y consacrer son mémoire en recherche-création. Selon elle, la fascination entourant les écrits de cette auteure est liée à son talent pour toucher le lectorat. «En lisant Nelly, on a accès directement à ses pensées, ce qui crée un sentiment de rapprochement. Il y a tellement d'autrices québécoises contemporaines qui la citent dans leurs œuvres comme leur sœur littéraire ou leur double. Cela peut s'expliquer par le lien de proximité que Nelly réussissait à créer avec les lecteurs.»
À la puissance de son œuvre s'ajoute son histoire personnelle qui a contribué à construire le mythe. «On voit avec Nelly le rapport intrinsèque entre ce qu'elle vit et ce qu'elle écrit. Elle l'a dit souvent: “j'ai vécu des choses pour les écrire”, ce qui amène une dimension encore plus grande à son écriture.»
Comme pour plusieurs, le premier contact d'Élodie Cossette-Plamondon avec Nelly Arcan a été Putain, un livre trouvé dans la bibliothèque de sa sœur, qui devait le lire pour un cours au cégep. Intriguée par le résumé sur la quatrième de couverture, l'adolescente qu'elle était a dévoré cet ouvrage en quelques jours. «Putain a marqué un gros changement dans mes habitudes de lecture, davantage tournée vers le fantastique à cette époque. Il s'agit d'un récit très éloigné de ma réalité, mais le rapport à la filiation et à l'identité a résonné en moi.»
Publié en 2001 aux Éditions du Seuil, une prestigieuse maison d'édition française, Putain relate l'expérience d'une étudiante comme travailleuse du sexe. Ce récit, qui a suscité une vive controverse à sa sortie, jette un éclairage cru sur les relations humaines et le rapport homme-femme. On y parle notamment de misogynie, du besoin maladif de plaire, de la crainte de vieillir, de religion. Réflexions, souvenirs et émotions s'enchaînent dans cette œuvre qui s'apparente à un journal intime.
Dans L'enfant dans le miroir, une autre œuvre emblématique de Nelly Arcan qui s'inscrit dans le sillage de Putain, une femme se rappelle son adolescence et sa découverte de la puberté. Née de parents toxiques, cette narratrice parle de son rapport à son corps et de sa quête incessante de la beauté. Le tout est accompagné des illustrations de Pascale Bourguignon, qui a su transposer en images l'univers ombrageux de l'auteure.
Pour son mémoire de maîtrise, Élodie Cossette-Plamondon analyse le rapport à l'identité dans l'œuvre de Nelly Arcan, mais aussi dans celle de la poète féministe Marie Darsigny (Trente, Filles). Par leurs multiples références à d'autres protagonistes que leurs propres personnes pour exposer leur mal-être ou leur vulnérabilité, ces deux auteures ont plusieurs points de concordance, constate l'étudiante.
Sa recherche à la maîtrise s'accompagne d'un projet de création littéraire pour lequel elle a voulu s'affranchir du spectre de Nelly Arcan. «C'est en quelque sorte un projet “anti-Nelly”. Un peu comme elle, j'ai toujours utilisé l'écriture pour m'exprimer sur ce qui m'arrive, sur mes maux, sur ce qui ne fonctionne pas, dit celle qui a publié poèmes et nouvelles, en plus d'avoir cofondé la revue en ligne Les Éphélides. Pour ce projet, je suis partie au Costa Rica. J'ai voulu m'immerger dans une autre réalité, adopter une autre identité pour voir si cela pouvait être un moteur de création. Le but était de me mettre au défi pour voir si je peux écrire autrement que Nelly… sans bien sûr oser me comparer à elle!»