
— Renaud Philippe
Le président Maduro présente les manifestations récentes comme une tentative de la part de pays étrangers de déstabiliser le pays. De son côté, l'opposition dénonce la confiscation des pouvoirs démocratiques. Qui faut-il croire?
Je n'ai pas l'impression que le mouvement contre le régime vienne de l'extérieur, même si la communauté internationale a réagi aux événements récents. Onze pays de la région ont notamment demandé au gouvernement de respecter la démocratie et la constitution. L'Organisation des États américains (OEA) et les États-Unis ont aussi abondé dans le même sens. Comme son prédécesseur, Hugo Chávez, Nicolás Maduro a tendance à galvaniser sa base électorale en utilisant les États-Unis comme bouc émissaire pour les problèmes que vit le Venezuela. En fait, la crise interne dure depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. La chute dramatique du cours du pétrole a exacerbé les tensions, et probablement la dérive autoritaire du régime. Cette dérive s'est encore accentuée le 30 mars, quand la Cour suprême a pris les pouvoirs conférés au Parlement, contrôlé aux deux tiers par l'opposition depuis 2015. Finalement, la procureure générale du Venezuela, pourtant une alliée du régime, a dénoncé cette décision et le gouvernement a fait marche arrière. Malgré cela, les élus du Parlement ont très peu de pouvoirs. C'est davantage le gouvernement qui dirige le pays par décrets.
Comment le pays peut-il sortir de cette crise majeure?
Même si la majorité des Vénézuéliens ne soutiennent plus le régime de Maduro, puisque 70% d'entre eux souhaiteraient son départ, le président du pays ne renonce pas à sa fonction. Il a décidé d'armer progressivement les 500 000 civils fidèles au régime pour former ce qu'il appelle la «milice bolivarienne». Un climat de guerre civile règne dans le pays. Je serais très surpris que le conflit se règle par des compromis, comme dans les sociétés démocratiques. Selon moi, pour sortir de cette situation, il faudrait déclencher des élections anticipées, comme le réclame l'opposition. Le fait que le chef de l'opposition, Henrique Capriles, vienne d'être déclaré inéligible pour 15 ans explique d'ailleurs en partie les manifestations. Le régime actuel sait pertinemment qu'il risquerait d'être écrasé si une consultation électorale avait lieu. En cas de défaite, Nicolás Maduro pourrait non seulement perdre le pouvoir, mais aussi subir des procédures judicaires, à moins qu'il ne trouve refuge à Cuba ou en Équateur. Le président et ses alliés luttent donc actuellement pour leur survie. Il est possible aussi que l'armée se soulève comme en 1992 et en 2002. On se rappellera qu'un certain Hugo Chávez dirigeait le premier soulèvement, avant d'être emprisonné.
La situation au Venezuela a-t-elle une influence sur les pays voisins?
Le Venezuela a été le premier pays à élire démocratiquement un dirigeant de gauche dans la région, avant même la Bolivie, le Nicaragua et l'Équateur. Aujourd'hui, on assiste à un retour de la droite en Amérique du Sud, comme au Brésil depuis la destitution de Dilma Rousseff. Le Pérou et le Paraguay sont aussi dirigés depuis peu par des partis de droite. Si le régime de Maduro devait tomber, cela porterait un coup très dur à l'ALBA, l'Alliance bolivarienne pour les Amériques. Il s'agit d'un regroupement d'une dizaine de pays gouvernés par des partis de gauche. Leur alliance a été mise sur pied en réaction à la création de la ZLÉA, la Zone de libre-échange des Amériques, qui devait intégrer l'ensemble des pays de l'Amérique latine. L'ALBA voulait développer une solidarité continentale et intégrer les populations au processus politique, et non pas miser uniquement sur les liens économiques. La perte d'influence du Venezuela pourrait porter un coup dur à cette alliance idéologique. Il faut dire que la baisse du cours du pétrole a déjà affaibli les programmes d'aide que le régime de Caracas fournissait à des pays comme la Bolivie et Cuba.