
Suspendu désormais dans l’atrium de l’École des arts visuels dans l’édifice de La Fabrique, cet assemblage d’immenses gouttes d’eau témoigne de la fragilité de la vie, de son aspect souvent imprévisible. Le directeur artistique de Vincent et moi, François Bertrand, considère cette installation comme une splendide analogie du sentiment que vivent ceux et celles qui sont aux prises avec une maladie mentale. «Finalement, pour ne pas perdre l’équilibre, il faut toujours rester en mouvement», souligne le psychologue. Joëlle Tremblay a imaginé des contrepoids constitués de solutés médicaux pour maintenir le mobile à flot dans les airs, une autre référence au milieu hospitalier. «Cela montre bien que chacun a besoin d’une béquille, qu’il s’agisse de Tylénol ou d’autre chose», remarque la maître d’œuvre.
La minceur de la ligne séparant les gens qualifiés de «sains d’esprit», avec ceux et celles que l’on dit «malades mentaux» a d’ailleurs frappé Carole-Anne Anctil, une étudiante au baccalauréat en enseignement des arts plastiques lorsqu’elle travaillait de concert avec une participante de Vincent et moi. «Cela m’a montré que n’importe qui pouvait être souffrir de ce genre de maladie, sans que l’on s’en rende compte. Finalement, nous nous ressemblons beaucoup.» Ensemble, les deux femmes ont créé un tableau abstrait très coloré à l’acrylique, Carole-Anne montrant à sa compagne comment coller des morceaux de papier de soi dans le tableau.
Une expérience stimulante
«Pour plusieurs de nos participants au programme, le fait d’être en contact avec de nouvelles techniques ou simplement de se retrouver à l’École des arts visuels, c’est extrêmement stimulant», constate François Bertrand, de Vincent et moi. Depuis sept ans, l’Art sans frontières met ainsi en contact des artistes de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec avec des étudiants en arts visuels pour créer en toute liberté. «Certains en ont profité pour découvrir l’aquarelle, d’autres l’acrylique, et surtout cette année ils ont eu l’occasion d’apprendre de nouvelles techniques d’assemblage avec le projet de mobile géant», témoigne Stéphanie Mélançon, accompagnatrice à l’Art sans frontières.
Les défis techniques ne manquent pas en effet avec cette installation, constituée de plus d’une douzaine de tableaux très colorés, qui a causé pas mal de maux de tête à sa conceptrice Joëlle Tremblay. Robert Routier, un capitaine de l’école de voile Damacha, les a aidés à faire des nœuds solides, ainsi qu'à poser des poulies servant à installer le mobile. Il a fallu aussi le coup de main de l'étudiante et couturière Martine Mailhot pour réussir à coudre la toile de tableaux autour des tuyaux en plastique qui constituent l’armature de chaque morceau. «L’enthousiasme du groupe est très stimulant, se félicite la professeure en arts visuels, cet engouement fait un bien fou. Par ailleurs, il ne faut pas trop déstabiliser les gens venus de Robert-Giffard, et y aller doucement avec eux, car certains avaient seulement travaillé sur de petits formats sur papier. On doit tenir compte de leur vulnérabilité et en faire une force.» De leur côté, les étudiants en arts visuels, en communication graphique et en enseignement des arts plastiques ont aimé créer sans contraintes, en toute liberté, sans crainte de la note donnée à leur travail.
Exposées pendant quelques jours dans l’atrium de l’École des arts visuels, les œuvres vont ensuite se retrouver dans la collection de Vincent et moi. Une collection qui fait l’objet d’une grande diffusion pour les dix ans du programme. La trilogie Arts-normes qui se compose notamment de l’exposition Mots de tête et maux d’esprits, dans laquelle on trouve notamment un texte de l’auteure Nelly Arcand, prendra l’affiche bientôt à la Galerie Montcalm à Hull. Un colloque international sur l’art et la santé mentale aura lieu en novembre tandis qu’au printemps prochain les étudiants en communication graphique réaliseront un livre d’art de la trilogie. Et le fameux mobile dans tout ça? On devrait le retrouver prochainement sur le campus, sans doute aux pavillons Alphonse-Desjardins et Ferdinand-Vandry; l’École des arts visuels discute actuellement de la possibilité de l’installer dans ces bâtiments.