
— Marc Robitaille
Dans Peaux de chagrins, Diane Vincent plonge le lecteur dans l’univers des tatoueurs. Sandro, mi-aztèque, mi-européen, un prunier en fleurs tatoué sur sa peau, confie son corps passé à tabac aux bons soins de son amie Josette. Commence alors une enquête qui va mener la masseuse de l’univers des groupes néonazis à un élevage de chèvres biologiques du Québec profond en passant par les camps de la mort et ses monstrueux tortionnaires. Une histoire complexe, à tiroirs, remplie de références corporelles. Normal, car celle qui l’a conçue s’intéresse depuis longtemps aux massages et au rapport à la peau. «Que ce soit avec des huiles essentielles, des herbes, du sable ou des roches, j’aime les sensations que procure le massage. Je suis attirée dans les musées par les objets ethnographiques à ce sujet et par les beaux livres sur les soins et les parures corporelles», raconte la linguiste.
Des personnages métissés
Grande lectrice de romans policiers, Diane Vincent apprécie les personnages complexes, parfois à la frange du bien et du mal. Figurent dans son palmarès personnel les intrigues mettant en scène l’inspecteur désabusé des quartiers au nord de Marseille Fabio Montale imaginé par Jean-Claude Izzo, les enquêtes siciliennes d’Andrea Camilleri, des auteurs suédois avant même qu’ils deviennent à la mode, et des classiques américains Chester Himes ou Hammet, ou encore Léo Malet dans le roman français. Sans oublier les œuvres de Patrick Senécal et de Jean-Jacques Pelletier. Pour ses propres histoires, elle privilégie les personnages métissés qui assument leur originalité jusqu’à ce qu’elle finisse par devenir banale. Sandro par exemple porte à même la peau une œuvre d’un grand maître japonais, à la fois tatoueur et peintre. Il s’est frotté à toutes sortes de rituels touchant la peau aux quatre coins de la planète avant de diriger un musée à Amsterdam.
Curieusement, même si ses récits ressemblent à des labyrinthes où il ne faut pas nécessairement essayer d’aller au plus court, Diane Vincent refuse tout plan établi lorsqu’elle écrit. Pour elle, la première phrase sert de point départ et le reste s’enchaîne, mot après mot. «Je ne sais pas qui va avoir tué qui, raconte-t-elle dans un sourire. Aussi, parfois je dois faire mourir un personnage attachant pour le déroulement de l’histoire, et c’est un véritable crève-cœur.» Elle qui travaille avec rigueur sur la conversation dans sa recherche de linguiste aime la liberté de construction du roman. La professeure avoue pratiquer peu la lecture formelle pour sa documentation nourrissant l’intrigue. Une image, un mot déclenche son imagination. Pour Peaux de chagrins, elle a aussi navigué beaucoup sur Internet, découvrant avec effroi l’existence de groupes néonazis vouant un culte à Elsa Koch, la tortionnaire nazie. «C’était effrayant de constater la facilité avec laquelle on accède à ce genre d'information», souligne-t-elle gravement. Le prochain roman, qu’elle prévoit finir l’an prochain, va l’emmener dans un univers peut-être moins dur. Elle va donner la vedette à un Montréalais d’origine haïtienne qui remporte le tournoi de tennis Roland-Garros.