«La guerre froide est terminée depuis 20 ans mais nous toujours pas vu naître un nouvel ordre mondial, a souligné d’entrée de jeu Louise Fréchette. L’idée d’un monde unipolaire dominé par la puissance américaine, tant débattue il y a à peine une dizaine d’années, nous apparaît aujourd’hui comme une notion totalement chimérique. Dans cet ordre mondial encore à bâtir, les institutions internationales devraient occuper une place de premier plan, car c’est d’elles qu’émanent les règles de comportements des États entre eux et que c’est là que s’organise l’action concertée de la communauté internationale.» Selon Louise Fréchette, les défis à relever sont nombreux, dont celui, épineux, de la gestion du système financier international que des institutions comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire international n’ont pas vu venir. «Pour utiliser une métaphore sportive, le problème n’est pas que ces institutions ont échappé le ballon. C’est qu’elles n’étaient même pas présentes sur le terrain où la joute se livrait», constate Louise Fréchette.
Volonté politique et responsabilités
Parmi d’autres défis de taille auxquels doit faire face la gouvernance mondiale figure la gestion des ressources naturelles, pratiquement inexistante à l’heure actuelle, et ce, pour des raisons évidentes, convient Louise Fréchette. En effet, quel pays est prêt à soumettre ses décisions en la matière à un quelconque droit de regard international? D’autres défis s’ajoutent à la liste : dossier nucléaire, terrorisme international, trafic de drogues, mouvements migratoires, contrôle des maladies infectieuses, nécessité de prévenir les conflits et de réduire l’extrême pauvreté. Mais la mise en place d’institutions internationales plus appropriées aux besoins actuels ne réglera rien aux problèmes en l’absence de volonté politique des gouvernements. «On peut conclure tous les accords et toutes les structures qu’on voudra, il ne se passera rien si les gouvernants reculent devant leurs responsabilités, explique Louise Fréchette. Pensez au Protocole de Kyoto et vous comprendrez ce que je veux dire.»
Selon la conférencière, les institutions universelles comme les Nations Unies doivent donner le droit de parole aux dictatures aussi bien qu’aux démocraties, faire asseoir à la même table grandes puissances et petits états, de même que concilier les points de vue de près de 200 pays. La chose n’est peut-être pas facile à réaliser mais c’est le prix à payer pour mettre en place des normes qui puissent s’appliquer partout et pour s’assurer que tous contribuent à la solution de problèmes communs. «Les organisations régionales et les associations de pays de toutes sortes ont aussi un rôle important à jouer, dit Louise Fréchette. Mais le bon vieux principe du "no taxation without representation" reste toujours d’actualité. Ni une Ligue des démocraties ni un G-8 même élargi ne sauraient prétendre décider pour la communauté internationale tout entière.»
Nous, les Occidentaux
Dans le futur, les institutions internationales devront aussi être capables d’actions cohérentes avec des mandats clairs qui se ne chevauchent pas, comme c’est le cas actuellement. Les institutions devront aussi pouvoir compter sur des ressources matérielles et financières adéquates. « On comprend mieux les faiblesses des opérations de maintien de la paix des Nations Unies quand on se rappelle que la communauté internationale n’investit que 7 milliards de dollars par année pour les 100 000 militaires, policiers et employés civils déployés sur le terrain, alors que le coût de la seule présence canadienne en Afghanistan dépasse le milliard de dollars annuellement.» Ce manque d’investissement ne concerne pas seulement le maintien de la paix mais touche également tous les domaines de la coopération internationale, de la lutte contre le sida à la protection de la biodiversité. Ces sommes sont dérisoires par rapport aux besoins, estime Louise Fréchette.
Estimant que tous les pays ont droit au chapitre dans la marche du monde, Louise Fréchette a rappelé que ses huit années passées au Secrétariat des Nations Unies l’avait convaincue que ce qui nous semblait évident ou souhaitable, ici en Amérique, et plus largement, en Occident, ne l’était pas nécessairement pour le reste de l’univers. «Nous, les Occidentaux, a-t-elle révélé, nous comportons trop souvent comme si nous étions toujours en 1945 quand la communauté internationale qui a créé l’ONU comptait moins de 50 pays, qui partageaient à quelques exceptions près le même héritage judéo-chrétien et étaient unis par leur victoire toute fraîche contre les forces fascistes. La réalité actuelle est, à bien des égards infiniment plus complexe et nous devons en tenir compte.»