Comme les autres textes de Nag Hammadi, L’Évangile selon Marie aurait d’abord été écrit en grec, sans doute au 2e siècle, avant d’être traduit en copte puis caché dans une jarre. Il s’inscrit dans le courant gnostique, une forme du christianisme présent en Égypte entre le 1er et le 5e siècle, surtout dans la région d’Alexandrie. Selon la professeure de littérature chrétienne ancienne, ces écrits ne doivent pas être considérés comme un reportage historique. Il s’agit plutôt d’une construction théologique. Autrement dit, L’Évangile selon Marie ne raconte pas la vie de Marie Madeleine ou d’une autre personne, mais elle nous apporte des éléments pour mieux comprendre le christianisme à ses débuts. Ainsi, Marie incarnerait un des disciples favoris de Jésus, chargée d’annoncer sa résurrection aux autres apôtres. Dans ce texte, elle semble aussi s’opposer à Pierre qui représente l’Église en train de s’instituer.
De l’espace pour les femmes
«Il semble qu’à cette époque, certaines formes de christianisme accordaient davantage de place aux femmes, raconte Anne Pasquier. Marie symbolise un courant où la véritable image divine n’est pas uniquement masculine. En ce sens, elle forme un couple avec Jésus, car elle représente la part plus féminine de Dieu. De là à en conclure comme Dan Brown qu’ils étaient mariés, je trouve cela un peu bourgeois. Au fond, quelle importance ce détail a-t-il?» Selon la chercheuse, les différents textes gnostiques illustrent l’évolution d’une religion chrétienne en pleine construction. Peu à peu, un courant majoritaire se forme avec ses dogmes et ses textes fondateurs rattachés au Nouveau Testament, ce qui ne veut pas dire pour autant que l’apport des autres pensées chrétiennes cesse totalement. La professeure donne comme preuve l’influence de la littérature apocryphe sur les œuvres de Marguerite Yourcenar, de Michel Tournier ou plus anciennement sur l’art roman. Dans sa nouvelle édition de L’Évangile selon Marie, elle insiste donc davantage sur les liens entre les écrits officiels de l’Église et ce que l’on pourrait considérer comme des textes plus marginaux.
À entendre Anne Pasquier, les chercheurs en sciences religieuses dans les universités ou les érudits dans les monastères ont considérablement dépoussiéré l’étude des textes religieux depuis quelques années, en les abordant non seulement du point de vue de la foi, mais également avec un œil littéraire ou historique. Une approche que le clergé aurait peut-être aussi intérêt à adopter, selon elle. «Le langage religieux d’aujourd’hui est sclérosé, plastifié, s’exclame-t-elle. En plus, le sens de certains mots, comme trinité et résurrection, n’est plus compris parce qu'on ne sait plus ce que ces termes pouvaient signifier il y a 2 000 ans. Finalement, on a perdu la beauté des images évoquées dans les textes.» Les différents évangiles mis au jour ces dernières années pourraient donc jouer le rôle de plumeau d’église.