«Lorsque j’étais en scénographie au Conservatoire d’art dramatique de Québec, j’adorais faire des recherches sur les personnages, comprendre leur psychologie, et les remettre dans le contexte de leur époque, raconte Chantal Daoust. J’ai donc suivi la même démarche au début en m’inspirant des films sur la cour de Louis XIV, des livres sur le costume, des images.» Près de 225 silhouettes caractéristiques de l’époque du Roi-Soleil ont ainsi surgi de ses doigts, portant des perruques extravagantes, des souliers démesurément pointus ou des rubans qui ne finissent plus de se dérouler. Une fois agrandies à l’échelle humaine, ces ombres tracées à l’encre de Chine constituent des jalons à travers lesquels les visiteurs progressent dans l’exposition, afin de relancer le plaisir de la découverte. Au dos de certaines silhouettes se trouve en effet un des 17 personnages habillés de sa réplique.
Le style, c’est l’homme
Le style graphique de la réplique définit d’une certaine façon la psychologie des protagonistes. Voilà, par exemple, que surgit Mascaré. Ce vrai valet et faux marquis aime à porter un immense chapeau dont il vante les qualités. Il se plaît à faire des déclarations d’amour intempestives à la jeune fille qu’il convoite. Chantal Daoust l’a donc dessiné coiffé d’un immense couvre-chef, mais aussi entouré de mots en forme de cœurs. «J’ai utilisé la famille de caractères Dingbat dont chaque lettre correspond à un dessin, raconte la graphiste. Pour son compagnon, qui parle beaucoup de la guerre, j’ai pris dans la même famille typographique des lettres en forme de médailles militaires.» Pour leur part, les deux jeunes filles, éprises de langage alambiqué et de formules tarabiscotées, se voient affublées du caractère Not caslon, plein de déliés et d’inutilités. Le père, sévère et rigoureux, porte du Caslon, un caractère très droit et traditionnel mis au point par un graveur américain au 18e siècle, comme pour souligner sa rigidité et son sens du devoir.
L’artiste a poussé sa recherche encore plus loin en intégrant véritablement les lettres de la réplique théâtrale dans le personnage, présenté dans plusieurs scènes différentes. Quelques-uns portent les caractères en boutons sur leur jupe, en cascade derrière la tête ou intégrés en motif floral sur le tissu de leur vêtement. Ou encore, les lettres composent une dentelle d’époque ou forment simplement une ombre. À d’autres moments, la phrase détermine l’axe de leur corps, s’échappe en volute ou explose à l’instar des récits guerriers de l’un des prétendants. «J’aurais aimé créer encore plus de personnages, car c’est un plaisir magique, s’exclame Chantal Daoust. Bien sûr, j’ai longtemps travaillé pour agencer les caractères, rapprocher des motifs, mais parfois les choses m’échappaient, comme si les créations finissaient par s’imposer, devenaient vivantes.» Professeure en création d’affiche numérique au Conservatoire d’art dramatique, tout en enseignant aussi le design graphique au Cégep de Sainte-Foy, Chantal Daoust espère bien renouveler cette réjouissante expérience. En s’intéressant à un autre auteur que Molière pour varier le style graphique et renouveler l’utilisation de la typographie.
L’exposition «Une précieuse et ridicule étude de caractères» se parcourt jusqu’au 1er juin à la salle d’exposition du pavillon Alphonse-Desjardins. La salle est ouverte de 9h à 17h, du lundi au vendredi.