
Le journaliste René Lévesque, durant la guerre de Corée, le 14 août 1951. Il franchit un cours d'eau, en territoire ennemi, en portant son enregistreuse sur sa tête, en direction du Royal Canadian Regiment, un régiment d'infanterie légère canadien.
— Canadian Department of National Defence/Library and Archives Canada
«En 1945, Lévesque s'attendait à être dépêché en Asie pour couvrir le conflit pour l'armée américaine, raconte Patrice Dallaire, diplomate en résidence aux Hautes études internationales (HEI) et ancien représentant du Québec à Beijing. Tout le monde prévoyait que le conflit durerait encore un an. L'explosion des deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, au mois d'août, prit tout le monde par surprise. Avec la signature de la capitulation du Japon le 2 septembre, Lévesque n'avait plus de raisons de se rendre dans le Pacifique.»
Le vendredi 14 octobre, au Musée national des beaux-arts du Québec, Patrice Dallaire a prononcé une conférence dans le cadre du colloque «René Lévesque et le monde: nouvelles perspectives». L'activité était organisée par la Fondation René-Lévesque avec la collaboration des HEl.
En 1951, une autre occasion de découvrir le continent asiatique se présenta au jeune journaliste alors employé du service international de Radio-Canada. Dans ses mémoires, Lévesque écrit: «La Corée ne me disait pas grand-chose, mais j'avais envie de connaître l'Asie.» Sa mission de reportage dura deux mois. Sur le chemin du retour, son avion se pose au Japon, comme il l'avait fait à l'aller. Cinq années d'occupation par les forces américaines avaient laissé des traces. Selon lui, «la griffe yankee est partout visible, triomphante», dira-t-il de la société japonaise déjà américanisée.
«Lévesque est revenu avec plein d'enregistrements audio, explique Patrice Dallaire. Ce grand reporter international a donné des conférences sur ce qu'il avait vu en Corée. Ses reportages font de lui une vedette médiatique sur les questions de politique internationale et de politique américaine.»
De 1956 à 1959, René Lévesque anime à la télévision l'émission d'affaires publiques Point de mire. Il couvre à plusieurs reprises les enjeux touchant l'Asie. «Il était son propre recherchiste, souligne le diplomate en résidence. Il s'enfermait avec des dizaines de revues, prenait des notes et se présentait en studio à la dernière minute avec une cigarette au bec. Il était très bon pour livrer l'information de façon intelligente aux téléspectateurs à l'aide de son tableau noir.»
En 1960, l'animateur vedette fait un virage professionnel et se lance en politique. Il sera ministre dans l'équipe du libéral Jean Lesage jusqu'en 1966, alors que l'Union nationale reprend le pouvoir. Deux ans plus tard, il fonde le Parti québécois. Tout en étant engagé dans l'action politique, Lévesque continue à s'intéresser à l'actualité internationale, en particulier à la guerre du Vietnam. Les forces américaines ont été présentes dans ce pays de 1965 à 1975. Selon Patrice Dallaire, le conflit fera forte impression sur l'homme politique. «Lévesque était résolument pacifiste, explique-t-il. Il trouvait que cette guerre n'avait aucun sens. Il la trouvait injuste et illogique. Il la qualifiait d'«accès de barbarie». Lui qui avait toujours admiré les États-Unis, il en est venu à s'interroger sur la société américaine. Il a craint que le conflit ne dégénère en guerre mondiale.»
Le Parti québécois prend le pouvoir en 1976. Selon le diplomate en résidence, le gouvernement du Québec a vraiment commencé à s'ouvrir sur l'Asie à partir de là. Lévesque sera le premier chef de gouvernement québécois à se rendre en Extrême-Orient. En 1984, il ira en visite officielle en Corée, au Japon et en Chine. Le Québec ouvrira des bureaux à Hong-Kong et à Singapour.
«Si Lévesque n'avait pas quitté la vie politique en 1985, soutient Patrice Dallaire, je pense que le virage du Québec vers l'Asie, qui est survenu à la fin des années 1990 sous Lucien Bouchard, aurait probablement eu lieu plus tôt. Cela montre que Lévesque était un visionnaire.»